Lancé en grande pompe en février 2008 par Nicolas Sarkozy qui l’a présenté comme un vaste "Plan Marshall" en faveur des quartiers les plus défavorisés, le Plan "Dynamiques Espoir Banlieues" devait prendre de grandes mesures pour la réinsertion des banlieues dans le paysage urbain. Trois ans plus tard cependant, et suite à l’éviction de la secrétaire d’Etat chargée de la Politique de la ville Fadela Amara, le Plan Espoir Banlieues est loin d’avoir rempli ses objectifs. Décryptage d’un bilan décevant.

 

C’était une des mesures phares promises par Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle : la situation très dégradée dans les quartiers populaires devait désormais être considérée comme une priorité nationale. Les émeutes de l’automne 2005 et celles qui se sont déroulées à Villiers-le-Bel (Val d’Oise) en novembre 2007 ont mis à jour une réalité jusque-là incomprise, sinon minimisée par les pouvoir publics et le gouvernement dans les banlieues françaises : celle de quartiers enclavés, où les taux de chômage représentent le double de la moyenne nationale (16,9% en 2008, 18,6% en 2009 selon le rapport de l’Observatoire national des Zones urbaines sensibles) et où les 16-24 ans sont les plus durement touchés.

 

Une mobilisation accrue de l’Etat

 

Face aux inégalités et à la ségrégation urbaine de plus en plus prononcées, c’est la solution interministérielle qui a été recherchée par Nicolas Sarkozy. Celui-ci a souhaité rompre avec les précédents projets gouvernementaux pour les banlieues en donnant une impulsion nouvelle à la politique de la ville.  

Ainsi, il a présenté le 22 janvier 2008, à Vaulx-en-Velin, le plan Espoir Banlieues – Une Dynamique pour la France, qui se voulait un véritable "Plan Marshall" pour les quartiers sensibles. Préparé par la secrétaire d’Etat chargée de la Politique de la ville Fadela Amara, ce plan, renommé "Espoirs Banlieues" avait pour objectif de répondre aux besoins des jeunes issus des quartiers difficiles en favorisant leurs chances de réussite scolaire et leur accès à l’emploi. Quatre priorités ont alors été déterminées pour une "dé-ghettoïsation" progressive des banlieues françaises : l’éducation, l’emploi et la formation, le désenclavement des quartiers et la sécurité.  

 

Un "plan anti-glandouille"

 

Premier objectif annoncé par Fadela Amara : redéfinir une géographie des quartiers prioritaires sur lesquels concentrer dans un premier temps les efforts budgétaires mis en œuvre. S’appuyant sur l’action de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), le plan Espoir Banlieues de Fadela Amara a souhaité mettre fin à l’inefficacité de la géographie urbaine disposant alors d’un dispositif particulier : sur les 751 Zones urbaines sensibles (ZUS) et CUCS (Contrats de cohésion sociale)   , 215 ont été retenus pour appliquer en priorité les mesures du plan Espoir Banlieues.   

Parmi celles-ci, enrayer l’échec scolaire dans les quartiers difficiles est prioritaire. Face à des jeunes gens souvent démotivés et en déficit de confiance avec l’autorité scolaire, le but de la secrétaire d’Etat à la Politique de la ville était de leur redonner goût aux études et de leur permettre de décrocher un diplôme. Aussi, le plan préconisait une généralisation des "écoles de la deuxième chance", la création d’ "internats d’excellence" ou encore la technique du "busing", qui promeut la mixité sociale grâce au système de transport scolaire.

L’accès à l’emploi est aussi valorisé, avec la création en juillet 2008 de "Contrats d’autonomie". Ceux-ci s’adressent aux jeunes âgés de 16 à 25 ans, peu ou pas qualifiés et résidant dans des zones urbaines enclavées. Proposés à titre expérimental dans trente-quatre départements, ils visent à accompagner 10 000 jeunes en difficulté vers l’emploi en sollicitant l’aide d’opérateurs publics et privés sélectionnés via un appel d’offre. Le plan Espoir Banlieues avait également pour objectif d’atteindre le chiffre de 11 500 embauches en CDD ou CDI de jeunes pour l’année 2008.

   

Une rénovation urbaine nécessaire

 

L’autre problème à résoudre est celui du fort enclavement des banlieues sensibles. 8 millions de Français vivent dans les quartiers concernés par la politique de la ville, et la plupart a le sentiment d’avoir été progressivement abandonné par les politiques publiques. De nombreux quartiers souffrent de mauvaises dessertes en transports en commun, limitant la possibilité d’accès aux services et à l’emploi. Le plan Espoir Banlieues prévoyait de débloquer 500 millions d’euros pour désenclaver les quartiers difficiles.

Autre volet de la politique urbaine : juguler l’insécurité persistante dans les quartiers dits sensibles avec le déploiement de 4000 policiers. 

 

Un budget flou et mal attribué

 

Cependant, malgré les annonces faites par le président de la République et celles de la secrétaire d’Etat, le plan Espoir Banlieues peine à se mettre en place. Il a fallu attendre le 20 juin 2008 lors de la réunion du CIV (Comité interministériel des Villes) pour qu’un budget soit enfin alloué à la nouvelle politique de la ville. Le Premier ministre François Fillon a alors indiqué que le financement du plan Espoir Banlieues se fera par un redéploiement des crédits, hormis 520 millions d’euros qui seront dévoués au désenclavement des quartiers. Dans un premier temps, c’est donc un faible budget qui est mobilisé : un milliard d’euros, principalement affecté au financement des 45 000 contrats d’autonomie qui sont prévus d’ici fin 2011, et dont l’efficacité a depuis été largement remise en question.

 

L’échec de la solidarité interministérielle

 

Malgré son implication, dans la réhabilitation des banlieues françaises difficiles depuis sa nomination en juin 2007, Fadela Amara,symbole de "l’ouverture" prônée par Nicolas Sarkozy, fut vivement critiquée pour le manque d’ambition ou de cohérence du plan Espoir Banlieues.

Il faut souligner que son secrétariat d’Etat a dû s’accommoder de quatre ministres de tutelle en trois ans. D’abord rattaché au ministère du Logement et de la Ville, il souffrait des mauvaises relations de Fadela Amara et de sa ministre de tutelle, Christine Boutin, chacune défendant sa propre vision de la politique de la ville et des quartiers prioritaires.

S’ensuivit une collaboration – trop courte pour être efficace – avec Brice Hortefeux,   après un premier remaniement, puis avec Xavier Darcos, avec qui Fadela Amara entretint des relations notoirement glaciales   et enfin Eric Woerth après le remaniement de mars 2010.

 

Ces changements successifs de ministère de tutelle eurent des incidences sur l’application du plan Espoir Banlieues. En novembre 2009, l’ONZUS a publié un rapport exposant l ‘accroissement de l’écart entre les quartiers sensibles et le reste du pays en matière de pauvreté, de chômage et d’échec scolaire. Fadela Amara est alors montée au créneau pour défendre son projet urbain    : "Les résultats sont là, (le rapport) nous dit que nous sommes dans la bonne direction mais que l’on a besoin d’encore plus de moyens et surtout d’une concentration sur les territoires".

 

Fadela Amara aussi fut vivement critiquée, tant pour ses actions peu concluantes que pour l’ambiance exécrable qu’elle a, semble-t-il, provoqué dans son cabinet. Ainsi, près de cinquante collaborateurs auraient, depuis 2008, claqué la porte ou été remerciés, et aucun n’est tendre avec ses méthodes de travail : "Paranoïaque, peu sûre d’elle, Amara est en perpétuelle lutte contre les autres. (…) Elle méprise l’administration, se méfie des hauts fonctionnaires, est en bisbille avec les ministres (…) Il fallait régler des problèmes particuliers, des expulsions de locataires par exemple, dans la plus grande urgence, alors qu’elle traînait sur des dossiers de fond. Elle n’a mené aucune réforme d’ampleur".

 

Le manque d’implication, voire de coopération des ministères dans la mise en œuvre du plan Espoirs Banlieues semble avoir été en grande partie à l’origine de son échec. Les autres ministres rechignèrent à sacrifier une partie de leur budget à la politique de la ville, qui devait cependant être en grande partie financée par le redéploiement des crédits, comme l’avait annoncé François Fillon à la CIV de juin 2008. C’est ce que déplorait Fadela Amara en 2009 : "Il y a des ministres qui se sont mobilisés très vite, l’éducation, l’emploi, d’autres non, exemple la santé. Je compte sur Roselyne Bachelot pour que la dynamique Espoir Banlieues, ce programme triennal, se traduise rapidement".

Constat partagé par François Pupponi, maire PS de Sarcelles : "Le plan Espoir Banlieues de Fadela Amara était voué à l’échec. Elle a cru naïvement qu’en demandant aux ministères de s’impliquer, ils allaient le faire… Fadela Amara a du mal à interpeller les grands ministères tels l’Education nationale, l’Intérieur ou les Transports qui seuls ont les moyens de véritablement agir. Elle tient le clou, mais le marteau est entre les mains des autres ministres".  

 

Une République impuissante face à la difficulté des quartiers

 

Le sombre bilan de la politique de la ville, et plus particulièrement du plan Espoir Banlieues à fait, à l’automne 2010, l’objet d’un volumineux rapport de 600 pages. Intitulé  "Quartiers défavorisés ou ghettos inavoués : la République impuissante", il a été préparé par les députés François Goulard (UMP villepiniste, maire de Vannes dans le Morbihan) et par François Pupponi (PS, proche de Dominique Strauss-Kahn, maire de Sarcelles dans le Val d’Oise). Leurs conclusions sont sans appel : depuis 2003, date à laquelle à été mis en place le PNRU (Programme national pour la rénovation urbaine, loi Borloo), qui devait viser à restructurer les quartiers classés en zone urbaine sensible, rien n’a vraiment changé : "Il faut admettre que la situation actuelle n’est dans l’ensemble pas meilleure qu’en 2003. La pauvreté et le chômage demeurent dans les quartiers sensibles à des niveaux élevés, sans amélioration réelle par rapport au reste du pays. Les résultats scolaires en ZUS accusent un retard important par rapport aux moyennes nationales, qui n’a pas été comblé, même partiellement, ces dernières années ; certaines données peuvent même être interprétées comme la preuve d’un "effet quartier" négatif : pour un environnement social et culturel donné, un élève résidant en ZUS aurait moins de chance de réussir qu’un élève résidant hors ZUS. Par ailleurs, les écarts de "pouvoir d’achat" entre les communes, exprimés en termes de potentiel financier, n’ont pas été réduits ces dernières années et ont même connu un léger accroissement".

Et parmi les mesures phares du plan Espoir Banlieues, peu ont été un succès Ainsi, d’après le magazine Challenges, sur les 45 000 contrats d’autonomie prévus sur trois ans, seuls 22 891 ont été signés et parmi ceux-ci, seuls 28% ont débouché sur un emploi ou une formation pour un coût estimé fin 2009 à 47,7 millions d’euros.

Le  désenclavement des quartiers et l’amélioration de la desserte par les transports en commun est l’autre grand échec du plan Espoir Banlieues. Une cinquantaine de villes étaient à l’origine prévues pour tester le système de "busing". Au final, seules neuf villes ont appliqué ce concept.  

Pour les deux auteurs du rapport, la solution serait d’impliquer davantage les élus locaux, et en particulier les maires et les délégués des préfets, véritables "maîtres d’œuvre des aides en faveur des quartiers défavorisés".

L’ensemble du bilan du plan Espoir Banlieues n’est cependant pas totalement négatif. François Pupponi et François Goulard constatent une "amélioration aisément vérifiable en termes de dignité de l’habitat et de reconstruction des quartiers", grâce notamment à l’action de l’Anru. De même, les internats d’excellence sont une réussite : 2 900 places ont ainsi été créées en 2009 et 20 000 supplémentaires à la rentrée 2010, toutes financées par les 500 millions d’euros issus du grand emprunt.

 

De Fadela Amara à Maurice Leroy : un nouveau discours en matière de politique urbaine ?

 

Remerciée lors du remaniement en novembre 2010, Fadela Amara fut remplacée par le centriste Maurice Leroy, nommé non pas secrétaire d’Etat mais ministre de la Ville. Souhaitant se placer dans la lignée de sa prédécesseur, il a affirmé, lors de sa première séance au Sénat le 29 novembre vouloir faire évoluer l’image que renvoie la banlieue : "Les banlieues intégrées à la ville constituent une chance pour la France, et non un handicap. Elles sont pour moi synonymes de richesse, de diversité culturelle et d’innovation"   . Dans une interview accordée aux Echos le 23 décembre dernier, il affirme vouloir "mobiliser toute la palette des mesures gouvernementales en faveur de l’emploi des jeunes, et notamment les contrats d’autonomie". Ceux-ci pourtant, n’ont montré que 42% de sorties positives (CDI, CDD, formation ou création d’entreprise) pour un coût de 4 300 euros par contrat…

L’autre nuance apportée par Maurice Leroy est sa volonté de "concentrer les crédits de la ville sur les quartiers qui en ont le plus besoin, notamment les crédits d’intervention de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé)" et qui seront gérés par les préfets. En 2011, pourtant, les crédits de son ministère ont diminué de plus de 10%. Pas sûr donc, que la politique de la ville telle que la conçoit Maurice Leroy trouve davantage d’écho et de succès que celle de Fadela Amara

 

* Pour approfondir la réflexion sur la politique de la ville et ses enjeux, nonfiction.fr publie aujourd’hui  un dossier qui comprend :

 

 

-    Un décryptage du New Deal urbain du PS, par Lilia Blaise.


-    Une interview de Nathalie Perrin-Gilbert, secrétaire nationale du Parti socialiste au Logement, par Lilia Blaise et Pierre Testard.


-    Une analyse des rapports entre politique de la ville et politique d'intégration, par Quentin Molinier.

 

-    Un point de vue de David Alcaud.

 

-    Une interview de Grégory Busquet, par Lilia Blaise.


-    Une interview de Jacques Donzelot, directeur de la collection "La ville en débat" (aux PUF), par Xavier Desjardins.


-    Un entretien avec Didier Lapeyronnie, sociologue, par Xavier Desjardins.

 

Des critiques des livres de :



-    Christophe Guilluy, Fractures françaises, par Violette Ozoux.


-    Hugues Lagrange, Le déni des cultures, par Sophie Burdet.


-    Julien Damon, Villes à vivre, par Xavier Desjardins


-    Joy Sorman et Eric Lapierre, L’inhabitable, par Tony Côme.


-    Jean-Luc Nancy, La ville au loin, par Quentin Molinier.


-    Denis Delbaere, La fabrique de l’espace public. Ville, paysage, démocratie, par Antonin Margier.


-    Rem Koolhaas, Junkspace, par Antonin Margier.


-    Hacène Belmessous, Opération banlieues. Comment l’Etat prépare la guerre urbaine dans les banlieues, par Antonin Margier.


-    Michel Agier, Esquisses d’une anthropologie de la ville. Lieux, situations, mouvements, par Antonin Margier.

 

A lire aussi sur nonfiction.fr :

 

- Le vieillissement de la population est-il un obstacle à l'alternance politique en 2012 ?, par Matthieu Jeanne.