A l'occasion de la mise en place de sa dernière création dans un lieu public (Répliques), nous avons demandé à l'artiste Patrice Hamel, familier de cette question, comment il pensait l'articulation entre arts et sciences. Voici ses réponses, qui méritent de susciter des débats. 

Nonfiction.fr- Comment concevez-vous les rapports entre arts et sciences ?

Patrice Hamel- Depuis Darwin jusqu'à aujourd'hui, les frontières franches établies entre nature et culture ont progressivement été détruites. Nous savons désormais que la culture émerge de structures profondément ancrées dans la nature dont la conception elle-même dépend du développement des disciplines scientifiques récentes (physiques, chimiques, biologiques, anthropologiques…). Pourtant certains adeptes de pratiques artistiques (mais aussi bien philosophiques ou religieuses) persistent à se croire de purs esprits illuminés (culturels) détachés d'un corps trop commun (naturel). Ils négligent le fait que les opérations artistiques enclenchent chez leur spectateur des regroupements de connexions neuronales spécifiques et qui s'appuient donc sur des principes biologiques. Et qu'un travail artistique réussi est celui-là même qui parvient à produire une appréhension sensorielle compréhensible et satisfaisante à partir de la perception des éléments plastiques mis à contribution. Les neurosciences pourraient nous aider à creuser ou éjecter les expériences artistiques en phase ou non avec nos capacités cognitives ou perceptuelles, ce qui nous aiderait à éliminer les supercheries arrogantes. Inversement, la spécificité de certains agencements plastiques et sémantiques établis dans certaines œuvres sont à même de révèler certains mécanismes de notre cerveau repérés par les artistes au fil des millénaires et aptes à construire un terrain de recherche intéressant les neurologues.

      
Nonfiction.fr- Quels sont, en cette matière, les écueils à éviter ? 

Patrice Hamel- Nous avons curieusement plus que jamais peur d'une intervention scientifique sur les travaux artistiques (en dehors de l'apport purement technique des outils ou des médias utilisés). Nous oublions que l'art de la Renaissance fut directement associé aux lois mathématiques de la perspective. Nous oublions les impressionnistes et leur lien direct avec les découvertes de l'époque portant aussi bien sur la physique que l'optique ou la perception. Cela dit, la science ne doit pas intervenir pour fixer des règles artistiques mais pour établir la base biologique à partir de laquelle il est possible de déduire des produits artistiques. De son côté, l'art ne doit pas se contenter d'illustrer une expérience scientifique (la théorie des fractales a produit les pires peintures) en révélant ses qualités plastiques (qui, lorsqu'elles existent, pouvaient être constatées sans lui). Il s'agit encore moins de convertir arbitrairement en art des objets scientifiques, en les ajoutant à la liste déjà foisonnante et paresseuse des ready-made de toute nature, faisant passer des vessies phosphorescentes (le bio-art) pour des lanternes transcendantes.

La discussion est lancée. L'amateur d'art peut se rendre à la Villette pour regarder cette œuvre (cf. photo ci-dessus de Romain Nicoleau). Nous avons invité d'autres artistes à répondre à ces questions. Nous allons publier leurs réponses, qui sont contradictoires, dans les semaines qui viennent

 

* Propos recueillis par Christian Ruby.