Chaque mois, nonfiction.fr publie l’opinion d’un expert sur une question européenne ou de relations internationales. Cet article de Fabien Terpan, maître de conférences à Sciences-Po Grenoble, inaugure cette rubrique. 


Lors du sommet qui s’est tenu à Lisbonne les 19 et 20 novembre 2010, les vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement de l’OTAN ont adopté un concept stratégique   censé guider leur action pour les dix années à venir. Cet ajustement aux nouvelles conditions de la sécurité internationale paraissait nécessaire, le précédent concept datant d’avril 1999. Plusieurs données nouvelles devaient être prises en compte, telles que l’impact du 11 septembre, les guerres en Afghanistan et en Irak, le lancement d’une politique européenne de sécurité et de défense, l’élection de Barack Obama. Il s’agissait aussi et surtout de rappeler que l’OTAN reste une organisation utile, voire indispensable, en dépit des difficultés qu’elle éprouve sur le terrain afghan. D’ailleurs, le fait que l’adoption du nouveau concept soit couplée à l’annonce d’une stratégie de sortie en Afghanistan montre bien la volonté de redorer le blason d’une organisation quelque peu affaiblie. 

Le document réaffirme la mission centrale de l‘OTAN- assurer la défense collective des membres de l’Alliance sur la base de l’article V du traité de l’Atlantique nord- tout en rappelant son apport à la gestion des crises et à la sécurité coopérative. Mais il insiste aussi sur deux éléments plus nouveaux, susceptibles d’entraîner d’importantes conséquences : le bouclier anti-missile, auquel la Russie est invitée à se joindre ; la nécessité d’une approche globale- politique, civile, militaire- de la gestion des crises. 

Les Etats-Unis ont réussi à inscrire la défense anti-missile dans le cadre de l’OTAN, en liant ce projet à la construction d’un partenariat fort avec la Russie. Le bouclier est présenté comme susceptible d’accroître la sécurité internationale, dans l’attente d’un monde dénucléarisé (la fameuse "option zéro" défendue par Barack Obama). En proposant aux Russes de participer, le président Obama a démontré que le système anti-missile n’était pas dirigé contre Moscou. De manière générale, l’apaisement des relations avec la Russie peut être considéré comme l’un des principaux apports de la nouvelle administration américaine dans le domaine extérieur. Si le bouclier soulève encore des interrogations quant à sa fiabilité et son impact sur la dissuasion, il est, incontestablement, un domaine de coopération riche de potentialités pour l’OTAN.

En orientant l’Alliance vers une approche globale de la sécurité, le nouveau concept contient les germes d’une possible concurrence avec l’Union européenne et sa politique étrangère et de sécurité commune   . Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont mis à jour les dangers d’une vision trop étroitement militaire de la gestion des crises.  Il n’est donc pas étonnant que le concept vise la mise en oeuvre d’une approche à la fois politique, civile et militaire, qui s’étendrait de la prévention des crises à la stabilisation post-conflit. Dans le même ordre d’idées, la coopération avec les Etats tiers, notamment sous la forme de dialogues politiques, est présentée dans le document comme un domaine important pour l’OTAN, bien qu’on se situe là sur le terrain de la diplomatie et non du militaire. Enfin, la prise en compte de défis majeurs tels que le changement climatique, la raréfaction de l’eau ou les besoins énergétiques, incite l’OTAN à développer des réponses qui se situent sur l’ensemble du spectre de la politique étrangère. D’où la création, annoncée à Lisbonne, d’une capacité, modeste mais adéquate, de gestion civile des crises. Or, si l’Union européenne peine à se doter d’une dimension défense, elle a depuis longtemps obtenu des résultats en matière commerciale, humanitaire, ou dans le domaine de la coopération extérieure.  S’agissant de la gestion des crises, elle s’est spécialisée, depuis 2003, dans les opérations civiles- ou civilo-militaires- de soutien à l’état de droit ou à la reconstruction. Dès lors, on comprend que le nouveau concept atlantique pose la question de la concurrence avec l’UE.

Il y a deux façons d’interpréter la situation actuelle. On peut tout d’abord considérer que l’OTAN ne deviendra jamais un acteur majeur de la politique étrangère, et restera essentiellement une organisation militaire chargée de la défense territoriale et du maintien de la paix. La politique étrangère est l’apanage des Etats-Unis, des Etats membres de l’Union européenne, voire de l’UE elle-même. L’OTAN n’est pas équipée pour développer une politique étrangère globale   : elle peut apporter une contribution importante mais pas assurer un leadership dans ce domaine. Et si elle intègre à ses préoccupations la gestion civile des crises, elle ne mènera jamais une politique commerciale, une politique de développement ou même sa propre action humanitaire. La relance, lors du sommet de Lisbonne, du partenariat stratégique entre l’UE et l’OTAN confirmerait alors l’idée selon laquelle l’Union est particulièrement bien placée pour mettre en oeuvre l’approche globale de l’OTAN. 

La seconde interprétation prend au sérieux le risque de concurrence entre la capacité de gestion civile des crises au sein de l’OTAN et la capacité d’ores et déjà existante au sein de l’UE. La Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union risque fort de pâtir des nouvelles ambitions de l’OTAN, tandis que cette dernière pourrait dans le même temps se détourner de ses tâches centrales (de nature militaire). Si les Etats membres de l’Union européenne acceptent, voire favorisent, la dérive civile de l’OTAN, c’est qu’ils envisagent la possibilité d’une victoire définitive du projet atlantique sur le projet d’Europe puissance.

Pour l’heure, il semble que la première interprétation soit plus proche de la réalité. Le commerce, le développement, l’humanitaire donnent à l’Union européenne les atouts d’un acteur global : l’OTAN en est encore loin. Cependant, on ne saurait écarter l’hypothèse d’une Alliance marginalisant l’Union européenne sur le terrain de la gestion des crises. Si cette option devait se réaliser, ce serait cependant en totale contradiction avec les objectifs fixés par le nouveau concept de l’OTAN : une défense européenne plus forte et plus performante, le renforcement de la capacité de l'UE à faire face aux défis de sécurité communs, le renforcement du partenariat stratégique entre l’OTAN et l’UE, la complémentarité des deux organisations, ou encore le respect de l'autonomie et de l'intégrité institutionnelle des deux organisations.


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