Les blogs américains ont bien sûr longuement analysé cette semaine la grande victoire républicaine de mardi dernier. Quand on se penche sur la blogosphère libérale, il est intéressant de constater que les blogueurs de gauche sont passés en quelques jours à travers tous les stades du deuil politique, à savoir : le choc, la fierté idéologique, la colère, et finalement l’espoir.

Le choc

Après la défaite, les blogs libéraux ont d’abord insisté sur la signification idéologique de la victoire républicaine. En effet, même si les nouveaux Représentants et Sénateurs républicains ont articulé leurs campagnes autour de thèmes apparemment consensuels, comme la lutte contre le chômage, l’analyse détaillée de leur profil idéologique prouve qu’une véritable vague conservatrice radicale va arriver au Congrès en janvier. Sur le site de Think Progress, Scott Keyes dresse ainsi un portrait ébouriffant de cette droite américaine totalement décomplexée : “Here is a snapshot of the GOP Class of 2010’s extremism [voici une rapide description de l’extrémisme de la promo républicains 2010]:

- Environment [Sur l’environnement]

50% deny the existence of manmade climate change [50% d’entre eux nient l’existence d’un réchauffement climatique causé par les activités humaines]

86% are opposed to any climate change legislation that increases government revenue [86% d’entre eux sont contre toute législation prévoyant de combattre le réchauffement par l’augmentation des recettes gouvernementales]

- Immigration [Sur l’immigration]

39% have already declared their intention to end the 14th Amendment’s guarantee of birthright citizenship [39% d’entre eux ont exprimé leur intention d’abolir le principe du droit du sol garanti par le 14ème amendement]

- Taxes/Spending  [Sur les impôts et les dépenses]

91% have sworn to never allow an income tax increase on any individual or business – regardless of deficits or war [91% d’entre eux ont juré de ne jamais permettre une augmentation des impôts sur tout individu ou toute entreprise, même en cas de déficit ou de guerre]

79% have pledged to permanently repeal the estate tax [79% d’entre eux ont juré d’abolir l’impôt sur les successions de façon permanente]."

Face à ces statistiques, on réalise la véritable maestria des Républicains : la majorité de la population américaine ne partage pas du tout ces positions, mais elle a pourtant choisi ces extrémistes-là pour la ‘représenter’.

La fierté idéologique

La déferlante idéologique républicaine a également et assez logiquement suscité un sursaut idéologique dans la blogosphère libérale. Loin de voir dans la défaite démocratique une remise en cause de leurs engagements, de nombreux blogueurs ont tenté de minimiser la catastrophe électorale en rappelant le bilan indéniablement positif à leurs yeux de Barack Obama. L’un des plus fervents défenseurs du président reste toujours Jonathan Chait sur le site de The New Republic. Dans un post intitulé Was it Worth it ? (est-ce-que ça en valait la peine ?), Chait revient sur l’idée maintenant banale selon laquelle les Américains se sont retournés contre Obama car il a trop penché vers la gauche en imposant sa grande réforme du système de la santé. Chait refuse cette analyse : “ I don't think that the decision to pursue health care reform was a bad one. Obama ran on health care reform. This was the holy grail of Democratic policy for 60 years, and the public as a whole demanded it as well. They may have turned against the bill as it dragged through Congress, but they always insisted that some kind of reform happen.  [Pour moi, ce n’était pas une mauvaise décision de réformer la santé. Obama a fait campagne en 2008 sur cette réforme. Cette réforme, c’était le Graal du parti démocrate depuis 60 ans, et la population aussi la voulait. Les gens se sont peut-être détournés de la loi au fur et à mesure que le débat languissait au Congrès, mais ils ont toujours insisté sur le fait qu’il fallait une réforme.]

But let's accept the premise for a moment that the decision to pursue comprehensive health reform hurt Democrats. Would I accept the trade-off? Yes, I would. Chances like this simply don't come along very often. [Mais acceptons juste un moment la théorie selon laquelle la décision de réformer la santé a fait du mal au Démocrates. Est-ce-que j’accepterais ce deal ? Et bien oui. Des opportunités comme celle-là ne se présentent pas aussi souvent que ça]

I'd also note that the decision to pursue a comprehensive plan was as much a GOP choice as a Democratic choice. Numerous Democrats in the Senate were desperate for bipartisan cover and only mildly committed to comprehensive reform. If any Republican Senators had put a deal on the table, almost any deal at all, however puny, at least one of those Democrats would have jumped at it. But Republicans were following Mitch McConnell's astute analysis that any bill with bipartisan support would become popular, and thus that withholding bipartisan support would hurt the Democrats but not Republicans. Republicans persistently followed an all-or-nothing strategy, and Democrats took all. I'm happy with the choice. Mitch McConnell won his election, and Democrats won health care reform. The latter is going to be around a lot longer than the former [J’ajouterai aussi que la décision de faire voter un plan de réforme aussi ambitieux a autant dépendu du choix des Démocrates que de celui des Républicains. De nombreux Démocrates au Sénat souhaitaient désespérément une couverture bipartisane pour justifier la réforme et ils étaient initialement peu enclins à soutenir une réforme aussi ample que celle qui est finalement passée. Si les Républicains avaient alors mis sur la table un deal, quel qu’il soit, aussi minuscule qu’il soit, au moins l’un de ces Démocrates aurait sauté sur cette occasion. Mais les Républicains ont préféré suivre l’analyse de leur leader, Mitch McConnell : selon lui, toute loi bipartisane deviendrait populaire, et donc, refuser ce soutien bipartisan aux Démocrates finirait par affaiblir les Démocrates, pas les Républicains. Les Républicains ont suivi avec insistance la stratégie du tout ou rien, et les Démocrates ont choisi tout plutôt que rien. Je suis content de ce choix. Mitch McConnell a peut-être gagné son élection, mais les Démocrates ont eu leur réforme de la santé. Cette dernière va durer beaucoup plus longtemps que Mitch McConnell].”

La colère

Ce sursaut libéral s’est aussi accompagné chez les blogueurs pro-Démocrates d’une intéressante réflexion sur la nature du parti. L’une des critiques les plus fréquentes à gauche sur le Congrès démocrate sortant concernait le poids démesuré –d’après les blogueurs les plus engagés – des Démocrates centristes. Ce groupe était surnommé les Blue Dogs (les chiens bleus : des chiens qui tirent tellement sur la laisse parce qu’ils veulent s’éloigner de leur maison – la gauche – qu’ils s’en étouffent presque…). Sur le site de Crooks and Liars, John Aravosis n’a pas pu longtemps cacher sa joie après la défaite de nombre de ces Blue Dogs : “Half of all conservative Blue Dog Democrats lost last night. So much for them being the saviors of the party [La moitié des Blue Dogs conservateurs ont perdu. Je crois qu’on peut donc enterrer l’idée farfelue selon laquelle ils allaient être les sauveurs du parti.].  Interesting that the Blue Dogs helped cripple Health Care Reform and climate change legislation, yet they still lost.  So why did the Democratic leadership and the President listen to these people? As we've always said, even if you try to appease the Republicans by voting their way, by cutting back your proposals and making them more conservative, they'll still call you a dirty f'-g hippy by the time the next election rolls around [C’est intéressant: les Blue Dogs ont tout fait pour affaiblir la portée de la réforme de la santé et de la loi contre le réchauffement climatique, et ils ont quand même perdu. Alors pourquoi le président et les leaders du parti s’obstinent-t-ils à écouter ces gens-là? Comme on l’a toujours dit, même si vous essayez de faire plaisir aux Républicains en votant comme eux, ils continueront quand même à vous traiter de putain d’hippy lors de l’élection suivante]. ”

L’inefficacité tactique des Démocrates centristes est sans doute établie. Mais en même temps, Aravosis – et beaucoup d’autres blogueurs avec lui – passent sous silence un problème autrement plus important pour le parti démocrate : sans ces conservateurs qui ont réussi à l’emporter en 2006 et 2008 dans des circonscriptions penchant vers la droite, les Démocrates n’auraient jamais eu la majorité au Congrès, majorité sans laquelle aucune loi libérale n’aurait pu être votée…

L’espoir

Passé le choc et la colère, la blogosphère libérale s’est très vite reprise. Quelques jours seulement après l’élection, beaucoup de blogueurs ont basculé vers un ton étonnamment optimiste. Ils sont persuadés que le pays est en train de vivre une profonde mutation et que l’Amérique de demain sera résolument démocrate. Dans une interview sur le site de The American Prospect, le stratège démocrate Dylan Loewe résume ainsi les avantages du parti : “In the short term, there's no question that the results were devastating for the Democratic PartyStill, even in the midst of this disappointment, the Democrats are positioned well over the long term, not just to retake the House but to build a sustainable majority. These are relatively unique times, and it's unlikely the Republicans will have an opportunity like this one again soon. Keep in mind that 45 million fewer people voted in 2010 than in 2008, and almost all of them were young people and minorities. These are groups that will almost certainly show up in higher numbers in 2012, and they are growing dramatically as a percentage of the population [En même temps, malgré la déception, les Démocrates sont dans une bonne position par rapport au long terme, pas seulement pour regagner la Chambre, mais aussi pour construire une majorité durable. Le contexte actuel est assez unique, et les Républicains n’auront pas de sitôt une occasion comme celle-ci. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu 45 millions d’électeurs en moins en 2010 qu’en 2008, et presque tous ces électeurs manquants étaient jeunes et issus des minorités. Ces groupes-là voteront en plus grand nombre lors de la présidentielle de 2012, et ils représentent chaque jour une partie plus importante de la population]. Here's what we know: by 2018, millennials will make up 40 percent of the population. The Hispanic population is supposed to grow another 40 percent by the end of this decade. When the voting population looks like that, Democrats will win race after race after race [Voilà ce qui est sûr: d’ici 2018, les jeunes nés aux alentours de l’an 2000 représenteront 40% de la population, et la taille de la population Hispanique aura encore augmenté de 40%. Quand l’électorat ressemble à ça, les Démocrates ne peuvent que remporter élections après élections]. I think the president is still incredibly well positioned for his re-election. He is still the most popular politician in Washington and will almost certainly be running against a Tea Party candidate in 2012. If Harry Reid can beat a Tea Party candidate in Nevada in 2010, Obama can easily beat one there in 2012, especially when you consider the expanded electorate he'll be working with?[Je crois que le président gagnera en 2012. Il est encore le politicien le plus populaire et il aura certainement un adversaire Tea Party contre lui.

Si Harry Reid [le leader assez terne des Démocrates au Sénat, réélu mardi] peut battre une candidate Tea Party au Nevada en 2010, alors Obama peut facilement l’emporter contre un autre supporter des Tea Party en 2012, surtout quand on prend en compte le nouveau type d’électorat qui existera alors]Cette thèse optimiste est ancienne. Dès 2004, les politologues Teixera et Judis l’avaient énoncée dans leur célèbre livre The Emerging Democratic Majority. Par bien des aspects, l’élection d’un président métis par l’Amérique jeune, urbaine et non-blanche en 2008 avait semblé confirmer cette analyse. Et c’est vrai que Tea Party ou non, les mutations démographiques et culturelles aux Etats-Unis sont là pour durer et peuvent difficilement, dans l’état actuel du positionnement idéologique du GOP, bénéficier aux Républicains. Reste maintenant à savoir quand ces bouleversements se seront suffisamment stabilisés et enracinés dans le pays pour permettre une vraie vague démocrate dans le paysage politique américain, par opposition à quelques soubresauts comme en 2006 ou 2008. [Dans le court terme, il n’y a aucun doute : les résultats de mardi ont été dévastateurs pour le parti démocrate]… Still, even in the midst of this disappointment, the Democrats are positioned well over the long term, not just to retake the House but to build a sustainable majority. These are relatively unique times, and it's unlikely the Republicans will have an opportunity like this one again soon. Keep in mind that 45 million fewer people voted in 2010 than in 2008, and almost all of them were young people and minorities. These are groups that will almost certainly show up in higher numbers in 2012, and they are growing dramatically as a percentage of the population [En même temps, malgré la déception, les Démocrates sont dans une bonne position par rapport au long terme, pas seulement pour regagner la Chambre, mais aussi pour construire une majorité durable. Le contexte actuel est assez unique, et les Républicains n’auront pas de sitôt une occasion comme celle-ci. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu 45 millions d’électeurs en moins en 2010 qu’en 2008, et presque tous ces électeurs manquants étaient jeunes et issus des minorités. Ces groupes-là voteront en plus grand nombre lors de la présidentielle de 2012, et ils représentent chaque jour une partie plus importante de la population]. Here's what we know: by 2018, millennials will make up 40 percent of the population. The Hispanic population is supposed to grow another 40 percent by the end of this decade. When the voting population looks like that, Democrats will win race after race after race [Voilà ce qui est sûr: d’ici 2018, les jeunes nés aux alentours de l’an 2000 représenteront 40% de la population, et la taille de la population Hispanique aura encore augmenté de 40%. Quand l’électorat ressemble à ça, les Démocrates ne peuvent que remporter élections après élections]. I think the president is still incredibly well positioned for his re-election. He is still the most popular politician in Washington and will almost certainly be running against a Tea Party candidate in 2012. If Harry Reid can beat a Tea Party candidate in Nevada in 2010, Obama can easily beat one there in 2012, especially when you consider the expanded electorate he'll be working with?[Je crois que le président gagnera en 2012. Il est encore le politicien le plus populaire et il aura certainement un adversaire Tea Party contre lui. Si Harry Reid [le leader assez terne des Démocrates au Sénat, réélu mardi] peut battre une candidate Tea Party au Nevada en 2010, alors Obama peut facilement l’emporter contre un autre supporter des Tea Party en 2012, surtout quand on prend en compte le nouveau type d’électorat qui existera alors]” Cette thèse optimiste est ancienne. Dès 2004, les politologues Teixera et Judis l’avaient énoncée dans leur célèbre livre The Emerging Democratic Majority. Par bien des aspects, l’élection d’un président métis par l’Amérique jeune, urbaine et non-blanche en 2008 avait semblé confirmer cette analyse.

Et c’est vrai que Tea Party ou non, les mutations démographiques et culturelles aux Etats-Unis sont là pour durer et peuvent difficilement, dans l’état actuel du positionnement idéologique du GOP, bénéficier aux Républicains. Reste maintenant à savoir quand ces bouleversements se seront suffisamment stabilisés et enracinés dans le pays pour permettre une vraie vague démocrate dans le paysage politique américain, par opposition à quelques soubresauts comme en 2006 ou 2008