Pour les députés, Elisabeth Guigou (PS) et Yves Bur (UMP), auteur d'un rapport d'information sur "La réforme de la gouvernance de la politique extérieure de l'Union européenne", la mission confiée à la Haute représentante pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité ne doit pas s'arrêter à la gestion des crises. Elle doit comprendre une réelle capacité de conception de la politique étrangère. "Il faut faire en sorte que Mme Ashton réussisse le mieux possible", plaident les auteurs. "C'est un impératif pour l'UE".

Le prédécesseur de Mme Ashton, Javier Solana, s'était heurté aux limites de la diplomatie à 27. Dépourvu de capacité d'initiative formelle, disposant de faibles ressources diplomatiques, Solana a rapidement délaissé le champ de la "Haute politique" au profit de la gestion de crises, lançant plus d'une vingtaine de missions hors UE. 

Catherine Ashton, dont le poste a été étoffé dans le Traité de Lisbonne puisqu'elle cumule à la fois des fonctions qui étaient attribuées au Haut représentant pour la PESC mais aussi le poste de Commissaire chargé des relations extérieures sous la première Commission Barroso, disposera, elle, d'un service européen d'action extérieure (SEAE), c'est-à-dire un véritable service diplomatique européen autonome de la Commission européenne, du Conseil de l'UE et des Etats membres, soit à terme de 5000 personnes et 132 "ambassades" de l'UE dans le monde. Un pouvoir d'initiative lui est par ailleurs formellement octroyé (même si on peut supposer qu'elle agira dans le sillage du Conseil européen). Elle participe également aux Conseils européens (réunion des Chefs d'Etat et de gouvernement) et préside le Conseil affaires étrangères (composé des ministres des Affaires étrangères des Etats membres). 

Ces deux grandes innovations du Traité de Lisbonne en matière de gouvernance des relations extérieures, la création du poste d'Ahston et celle du SEAE, font l'objet d'un rapport d'information de l'Assemblée nationale circonstancié et fort utile dans une période caractérisée par un certain flou institutionnel. 

C'est, aujourd'hui, tout le défi de Catherine Ashton d'investir le domaine de la Haute politique, c'est-à-dire de dépasser les divergences d'intérêt entre les Etats membres pour essayer de faire converger les diplomaties nationales. Les deux auteurs du rapport envisagent une évolution plus modeste qu'ambitieuse pour l'Europe de la politique étrangère ; mais plus réaliste aussi. 

Ce positionnement traduit le souhait pragmatique des députés de dépasser la controverse institutionnelle entre les tenants de l'Europe fédérale et ceux de l'Europe intergouvernementale qui a paralysé l'UE depuis Maastricht.

"Le défi, écrivent-ils, est d'organiser une capacité de l'Europe à agir collectivement à l'extérieur dans une Union de 27 Etats nations qui n'est pas un Etat fédéral et comporte deux puissances nucléaires, quatre pays neutres, des intérêts divergents et pas de politique fédérale extérieure. Le défi est de mener non pas une politique étrangère commune, peut-être y arrivera-t-on un jour, mais des actions communes pensées, organisées, appliquées dans certains domaines clefs malgré ces différences".

Deux ou trois  points sur lesquels l'UE pourrait s'affirmer

Les auteurs pointent les difficultés de la nouvelle architecture institutionnelle. D'abord le fait que le Traité, en matière de relations extérieures, ne fusionne pas la logique communautaire et la logique intergouvernementale, ce qui est difficile dans un domaine régalien par essence, mais "surmonte ce clivage" en nommant une Haute représentant liée au Conseil et à la Commission, ainsi dotée d'une force de proposition et d'action intégrant à la fois la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et les instruments de l'action extérieure (relevant de la Commission européenne). 

Autre obstacle, relève les auteurs, le SEAE n'est pas compétent en ce qui concerne trois instruments cruciaux de l'aide extérieure représentant 48 milliards d'euros sur 72,3 milliards d'euros sur la période 2007-2013 (soit l'Instrument d'aide à la pré-adhésion, certains volets  de l'Instrument de coopération au développement, la Facilité alimentaire). Ces instruments continueront à dépendre des Commissaires chargés de la politique européenne du voisinage et du développement. 

Mme Ahston n'est, par ailleurs, pas compétente pour ce qui relève de la politique commerciale (déterminante en matière de politique étrangère) ni pour les volets externes des politiques internes (par exemple, l'énergie). 

L'enjeu de coordination est donc très fort pour la cohérence de la conduite des relations extérieures. Une coordination qui a fait défaut à Copenhague lors des négociations sur le changement climatique. L'UE n'a guère pesé :"le pouvoir doux d'une puissance normative fragmentée ne suffit pas à influencer un monde de puissances globales dures". Pour les auteurs, l'UE a projeté son modèle de paix, elle doit maintenant "projeter son unité" pour retrouver son leadership. 

Répondant à une question d'un parlementaire au cours du débat sur le rapport d'information présenté le 16 juin dernier à la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale, Elisabeth Guigou a conclu : "Sur le fond, il n'y aura pas de politique étrangère européenne avant très longtemps mais si la Haute représentante (…) arrive à définir certaines priorités à commencer par les Balkans ou le conflit israélo-palestinien et Gaza, il peut y avoir deux ou trois points sur lesquels l'Union européenne pourrait s'affirmer. (…) Il faut croire au succès de la Haute représentante. C'est, pour l'Europe, un impératif. Elle n'a pas le choix. A défaut, elle n'existera plus sur le plan international et ses Etats membres non plus. Il faut donc faire en sorte que Mme Ashton réussisse le mieux possible"

* Consulter le rapport : www.assemblee-nationale.fr/13/europe/rap-info/i2631.asp