Alors que son rapport "vaincre l’échec à l’école primaire" fait beaucoup parler de lui, nonfiction.fr a été à la rencontre de l’Institut Montaigne. Nous avons pu interroger son Directeur des Etudes Laurent Bigorgne et Alexandre Quintard Kaigre, chargé d’affaires publiques, afin d’en savoir plus sur ce laboratoire d’idées qui se veut indépendant.

En effet, lorsqu’on évoque son positionnement politique, les responsables du laboratoire d’idées fondé par Claude Bébéar refusent les étiquettes et martèlent que l’Institut Montaigne n’est "ni de droite, ni de gauche". Son Comité Directeur qui respecte un certain équilibre entre les différentes sensibilités politiques est présenté comme le gage de cette indépendance. On retrouve en effet des personnalités de droite comme Nicolas Baverez aux cotés d’intellectuels proches du Parti socialiste comme le constitutionnaliste Guy Carcassonne. Mêlant haut-fonctionnaires et intellectuels, cette instance décisionnaire compte en outre plusieurs dirigeants d’entreprises et illustre l’approche pluridisciplinaire sur laquelle l’Institut Montaigne a fondé sa méthode.

Un budget sans aucune subvention publique

Souhaitant se démarquer des autres boîtes à idées françaises, l’Institut Montaigne affiche fièrement un budget annuel uniquement composé de subventions du secteur privé. Ses responsables y voient une marque d’indépendance et un moyen de s’affranchir de la tutelle étatique. Si cette indépendance financière est poussée à l’extrême, l’Institut Montaigne n’est toutefois pas le seul think tank français à s’appuyer financièrement sur la société civile et à produire des analyses qui échappent au giron des officines étatiques.

Plus qu’un mode de financement, le recours au secteur privé et à la société civile est au cœur de l’idéologie de "Montaigne". Pour son Directeur des Etudes, Laurent Bigorgne, il s’agit de faire participer au débat public les "couches intermédiaires" de la société. Selon lui, "il faudrait que l’Etat laisse un peu plus de place aux acteurs de la société civile" qui évoluent entre le peuple et ses représentants. Proche d’une conception anglo-saxonne du système politique, les responsables de l’Institut Montaigne plaident pour une société dans laquelle l’action de l’Etat serait donc la plus limitée possible.

Les champs de recherche de l’Institut Montaigne

L’Institut Montaigne serait ainsi "un lieu où on pourrait penser […] et agir au service de trois grandes questions".

La première de ces questions est celle de la cohésion et des mobilités sociales. Derrière ce titre assez générique, on retrouve la problématique de l’égalité des chances, "thème historique de l’Institut Montaigne" comme le confirme Laurent Bigorgne. En effet, l’Institut a travaillé sur ces enjeux jusqu’à développer la notion d’ "égalité positive", concept distinct mais pas si éloigné de la discrimination positive. Il a formulé plusieurs propositions concrètes comme la généralisation du CV anonyme et la mise en place d’une Charte de la Diversité.


Au-delà de la thématique de la diversité, l’Institut Montaigne consacre peu de travaux aux problématiques sociales de notre société. Les nouvelles formes de pauvreté ou l’évolution de la protection des salariés ne font pas partie de ses champs de recherche.

"La deuxième [question], c’est celle des mutations de l’action publique, de la réforme de l’Etat au sens très large du terme". Cette seconde thématique évoquée par le Directeur des Etudes de Montaigne comprend des sujets aussi variés que l’échec scolaire, la réforme du système des retraites ou les enjeux de santé publique. Les pistes de modernisation envisagées oscillent entre mesures connues, dont certaines à l’œuvre dans la Réforme de l’Etat, et initiatives franchement libérales. Ainsi, l’Enseignement Supérieur est selon l’Institut un domaine qui ne gagne pas à être sous la tutelle étatique. Cette spécificité du modèle français serait même "incongrue aux regards des autres pays".

Le principe d’autonomie est au cœur de la réflexion sur l’Enseignement de l’Institut Montaigne qui envisage de ne pas limiter son application aux seules universités. Dans son dernier rapport, l’Institut pointe avec justesse les échecs de l’école primaire. Ce seraient près de 300 000 élèves qui sortiraient chaque année de l’école primaire avec de graves lacunes. Pour remédier à cet état de fait, une quinzaine de recommandations sont proposées dont plusieurs relativement consensuelles. Mais l’Institut Montaigne évoque également la création d’établissements scolaires primaires autonomes avec des pouvoirs élargis pour les directeurs et des primes au mérite pour les instituteurs. On s’éloigne une fois de plus d’une conception républicaine de la société.

Le dernier volet des travaux de l’Institut concerne la stratégie économique de la France et de l’Europe "sachant que Montaigne s’est donné pour objectif à la fois de développer, de valoriser et d’optimiser les atouts de la France dans la compétition internationale". Très soucieux de la place de la France dans la compétition économique, l’Institut Montaigne porte un regard particulièrement inquiet sur les "différentiels de compétitivité" qui feraient défaut à notre pays.

Une conception libérale de la société

Souhaitant faire émerger des initiatives de la société privée et s’appuyant financièrement sur la générosité des entreprises, l’indépendance de l’Institut Montaigne peut soulever des interrogations. A la question "l’Institut Montaigne est-il le think tank des entreprises ?", les responsables que nous avons rencontrés n’ont pas répondu directement. Toutefois, au cours de notre entretien, Alexandre Quintard Kaigre en charge des affaires publiques du think tank s’est livré à une définition du lobbying, rappelant qu’ "un entrepreneur et un politique ne parlent pas le même discours… Forcément, il faut quelqu’un qui fasse le lien entre les deux… pour éclairer l’entrepreneur sur l’administration…".  Il s’est alors empressé de préciser qu’il ne s’agissait pas, en l’occurrence, du travail de l’Institut Montaigne. Une méprise est si vite arrivée…

Toutefois, afin de limiter l’influence de ses contributeurs, l’Institut limite à 2 % de son budget le montant maximum des contributions faites par un donateur. Il compte ainsi environ deux cents contributeurs pour un budget annuel d’environ trois millions d’euros.

Si l’on ne peut l’accuser d’être directement influencé par certains de ses contributeurs, on ne peut que remarquer que les travaux du think tank nourrissent une véritable idéologie.
Fondé à l’initiative d’une figure emblématique du patronat français et essentiellement tourné vers les défis de la compétition économique, l’Institut Montaigne et ses responsables défendent une vision profondément libérale de la société française. Puisant leur inspiration dans les modèles étrangers, ils militent dans chacun des domaines pour un retrait de l’Etat au profit des acteurs privés. Plusieurs rapports de l’Institut Montaigne traitent par exemple de la "générosité du public", appelant à un développement des fondations privées et de toutes sortes de "générosités privées au service de l’intérêt général" dans une perspective où la société civile viendrait à remplacer l’action de l’Etat jusque dans ses missions sociales. Ces mesures, déjà à l’œuvre dans la société américaine, n’amènent pourtant pas l’Institut Montaigne à prendre en compte les écueils du modèle américain au moment où celui-ci consacre le rôle de l’Etat avec la réforme du système de santé.

S’il offre des analyses justes et intéressantes et des propositions cohérentes et étayées, les théories libérales que défend l’Institut Montaigne apparaissent parfois en décalage avec un retour en grâce de la régulation étatique au lendemain de la crise financière. Son Directeur des Etudes reconnaît "que le modèle français a pendant la crise été considéré comme le nouveau modèle européen", mais n’en demeure pas moins convaincu qu’il faut réformer en profondeur la société française et dans un sens très éloigné de la "société du care" évoquée par le Parti Socialiste