La blogosphère américaine n’en peut plus d’anticiper la fin du débat sur la réforme de la santé, et elle donne l’impression de tourner en rond. Il faut dire que cela fait exactement un an qu’Obama a lancé cet immense chantier et la lassitude s’installe.

Les doutes à gauche

La durée des débats fait naître des doutes sur son issue, essentiellement à gauche. John Avorasis, sur Americablog.com, ne voit pas comment Obama peut convaincre suffisamment de Représentants démocrates de voter pour le texte adopté par le Sénat, et il place la responsabilité de cet échec possible entièrement sur les épaules du président : "The President took so long to get personally involved in the HCR debate that events overtook him. [le président a tellement attendu pour s’impliquer personnellement dans le débat qu’il s’est fait dépassé par les évènements]
1. Democrats are worried about their re-election chances this fall in a tough environment (and probably, rightly, blame the President for at least a part of their problem in the polls). [les démocrates s’inquiètent pour leur réélection à l’automne et voient, à raison, le président comme responsable en partie de leurs mauvais scores dans les sondages]
2. Dems worry that health care reform is no longer popular with the public (whether it's true or not), again because the President didn't lead early on [les démocrates s’inquiètent que la réforme n’est plus populaire, à tort ou à raison, justement parce que le président n’a pas mené le débat au début.]
3. Dems don't feel terribly beholden to the President (in order to do him any favors) because this White House is not known for its interest in wooing friends (at least on the left) [les démocrates ne se sentent pas redevables au président car la Maison Blanche est connue pour ne pas vraiment essayer de séduire les parlementaires, en tout cas ceux classés à gauche].
4. Dems don't particularly fear the President either [les démocrates n’ont pas très peur du président non plus]. Ultimately, the White House may have done too little too late to get health care reform passed. [la Maison Blanche a agi trop peu et trop tard pour réussir à faire voter la réforme de la santé].”

La novlangue des républicains

Quelle que soit l’incertitude sur le résultat final, les deux camps mobilisent leurs dernières munitions.
Dans les derniers mois, la Chambre et le Sénat ont tous les deux voté le texte avec de confortables majorités, et il ne reste plus maintenant qu’à harmoniser leurs deux propositions de loi. Mais les républicains s’acharnent à présenter ce processus comme une trahison des usages démocratiques en comptant sur l’inventivité sémantique de leurs spin doctors. Josh Marshall de Talking Points Memo remarque que "to vote on a bill" devient dans la communication des républicains "jamming it through" [passer en force]. Dans le même esprit, Steve Bennen, sur le site du Washington Monthly, propose cette liste de trouvailles républicaines: " 'Obstructionism', for example, only refers to Democratic minorities opposing Republican proposals [l’obstructionnisme, c’est seulement quand la minorité démocrate s’oppose à des propositions républicaines]. "Tyranny" is found when an elected Democratic majority passes legislation that Republicans don't like [La tyrannie, c’est quand une majorité démocrate élue vote des lois que les républicains n’aiment pas]. "Patriotism" refers to Republicans criticizing a Democratic administration during a war." [le patriotisme, c’est quand des républicains critiquent une administration démocrate pendant une guerre]. Fiscal responsibility is a national priority related to keeping our deficit in check, which only applies when Republicans are in the minority. [la responsabilité fiscale est une priorité nationale qui s’applique seulement quand les républicains sont dans la minorité]”.
La droite n’hésite pas non plus à recourir aux arguments les plus démagogiques. La blogosphère conservatrice s’est par exemple offusquée d’une remarque de Nancy Pelosi (la leader des démocrates à la Chambre) dans l’une de ces interviews défendant la réforme de la santé : "Think of an economy where people could be an artist or a photographer or a writer without worrying about keeping their day job in order to have health insurance." [Imaginez une économie où les gens pourraient être artistes, photographes, ou écrivains, sans avoir à s’inquiéter et à garder un autre emploi afin d’avoir accès à l’assurance maladie]. Pour le site du magasine conservateur, le Weekly Standard, de tels arguments symbolisent la faillite morale de la gauche américaine: "If liberal Boomers such as Nancy Pelosi insist on creating government incentives for a generation of people to be unemployed artists who nonetheless have their health care paid for by productive members of society, there will be fewer productive members of society [si les baby boomers de gauche comme Nancy Pelosi insistent pour créer des aides gouvernementales qui permettent à une génération entière d’être composée d’artistes chômeurs, alors il y aura beaucoup moins de personnes productives dans la société].”

Et après la réforme de santé ?

Malgré la lassitude, les doutes et les excès rhétoriques, les deux camps anticipent en réalité le vote de la loi et préparent l’après.
Les blogueurs conservateurs ont déjà lancé la campagne pour abroger la réforme après une éventuelle victoire républicaine lors des élections de mi-mandat de novembre prochain. Rich Lowry, sur le site de la National Review, présente les arguments de la prochaine bataille : "If Pelosi somehow succeeds, …it won’t be over [si les démocrates l’emportent, ce ne sera pas fini]. If the bill becomes law, it will suffer a legitimacy gap that will make it vulnerable to repeal [la loi souffrira d’un manqué de légitimité qui la rendra vulnérable à une annulation]. One, it will have passed on strictly partisan votes. [elle sera votée sur une base strictement partisane]. Two, its skids were greased with rotten deals. Three, the bill wouldn’t exist in its current form if key senators hadn’t been bought off with hundreds of billions of dollars in legislative bribes [les rouages de la loi ont été huilés par des accords pourris. La loi n’existerait pas si les sénateurs clés n’avaient pas été achetés avec des centaines de milliards de dollars]. Four, the bill has been sold under deliberately false pretenses. Pres. Barack Obama can’t admit the bill’s real purpose is to cover the uninsured no matter what the fiscal consequences [On n’a pas présenté les vraies motivations de la loi. Obama ne peut pas avouer que le but de la loi c’est de couvrir les gens sans assurance, quelles qu’en soient les conséquences fiscales]. Five, the bill is abidingly unpopular [cela fait longtemps que le projet de loi est impopulaire]. So Obamacare needn’t stand forever [Donc, le Obamacare ne va pas durer]."
On remarque, ce qui est assez rare, un certain accord sur cette question entre blogueurs libéraux et conservateurs. Josh Marshall, à gauche, pense que les menaces républicaines sur l’abrogation de la réforme représentent une réelle "opportunité" pour les démocrates pour les élections de novembre : "there are very popular parts of the bill -- end to denial of coverage for pre-existing conditions etc -- and unpopular parts, mainly new taxes and mandates [certaines parties de la loi sont très populaires, comme l’interdiction faite aux compagnies d’assurances de refuser de couvrir des gens qui sont déjà malades, et d’autres qui ne le sont pas, comme les nouveaux impôts].The policy reality is that you can't have one without the other [la réalité concrète, c’est qu’on ne peut pas avoir l’un sans l’autre]… But Republicans are getting a lot pressure from the right to demand total repeal [Mais la droite fait pression sur les républicains pour obtenir une abrogation complète]… After all, if it's really the end of the universe, America and Apple Pie, as Republicans have been suggesting, it's hard to say you just want to tinker at the margins. Democrats should be asking Republican candidates: " 'You really want to bring back denial of coverage for pre-existing conditions?' "[après tout, si c’est vraiment la fin de l’univers et de l’Amérique, comme les républicains le suggèrent, alors c’est dur de dire que vous voulez seulement modifier des détails de la loi. Les démocrates devraient demander aux candidats républicains : "vous voulez vraiment qu’on revienne au refus de couvrir les gens déjà malades ?"].


Autrement dit, le débat qui a un an déjà risque bien de durer au moins un an et demi…