Interview de M. Frédéric Puigserver, rapporteur du Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Édouard Balladur.

 

Institué par un décret du 22 octobre 2008, le Comité pour la réforme des collectivités locales a réuni, sous la président de M. Edouard Balladur, ancien Premier ministre, M. Pierre Mauroy, ancien Premier ministre, sénateur, M. Gérard Longuet, sénateur, M. Dominique Perben, député, M. André Vallini, député, M. Jean-Ludovic Silicani, Conseiller d’Etat, Mme Elisabeth Lulin, inspecteur des finances, M. Daniel Canepa, préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, M. Michel Verpeaux, professeur des universités, M. Jean-Claude Casanova, membre de l’Institut, président de la Fondation nationale des sciences politiques et M. Jacques Julliard, historien. Le directeur général des collectivités locales (ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités locales), M. Philippe Josse, directeur du budget (ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique) et Mme Marie-Christine Lepetit (ministère de l’économie, des finances et de l’emploi).

Nonfiction : Pourquoi une réforme des collectivités locales ?

Frédéric Puigserver : Après avoir engagé une réflexion sur la modernisation de nos institutions nationales, qui a abouti à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 – la plus vaste depuis le début de la Ve République – le Chef de l’Etat a souhaité mettre à l’ordre du jour la réforme des collectivités locales. Il a donc décidé de confier au Comité qu’a présidé M. Edouard Balladur le soin de proposer des évolutions – qu’il a voulues ambitieuses – de notre administration locale. Il est vrai que la forme actuelle de cette administration, héritée d’une tradition centralisatrice et faite d’une accumulation, constituée au fil du temps, de centres de décision et de pouvoirs fiscaux, n’est plus satisfaisante. Peu lisible et souvent coûteuse, elle ne correspond plus aujourd’hui aux nécessités d’un pays réellement décentralisé.

Nonfiction : Dans quelle mesure notre administration locale est-elle coûteuse ?

Frédéric Puigserver : Il faut rappeler que les dépenses des collectivités locales représentent chaque année environ 200 milliards d’euros, soit 20 % de l’ensemble de la dépense publique et 75 % des investissements publics civils. Par ces dépenses, communes, départements et régions ont largement contribué au développement économique et social de notre pays, que l’on songe à leur rôle en matière de transports ou de services à la personne. Il reste que les dépenses locales ont augmenté, au cours des 25 dernières années, plus vite que la richesse nationale. Les transferts de compétences de l’Etat aux collectivités décentralisées, intervenus pendant la même période, ne suffisent pas à expliquer cette évolution. Sans doute la complexité de notre organisation locale, qui induit des retards dans la prise de décision, y est-elle pour quelque chose.

Nonfiction : Les propositions du Comité pour la réforme des collectivités locales vont-elle permettre de réduire ces coûts ?

Frédéric Puigserver : L’ambition du Comité a été de renforcer, pour l’avenir, les deux niveaux de collectivités que sont les régions et les groupements de communes. Aussi a-t-il proposé, dans l’immédiat, une  association plus étroite, au moyen d’une élection commune et de compétences clarifiées, entre, d'une part, la région et le département, et, d'autre part, les intercommunalités et les communes. Il a aussi recommandé que soit organisé chaque année, comme dans la plupart des grands pays européens, un débat au Parlement fixant un objectif d'évolution de la dépense locale. Une organisation territoriale simplifiée, des finances locales mieux maîtrisées, tout cela devrait permettre, à terme, de réaliser des économies. Pour autant, il serait déraisonnable de vouloir les chiffrer aujourd’hui à l'euro près.

Nonfiction : Vous proposez d’affirmer le rôle des régions. Est-ce à dire que, depuis leur création, les régions françaises sont restées en marge de la décentralisation ?

Frédéric Puigserver : Les régions se sont progressivement enracinées dans le paysage administratif français. Créées dans les 1970 sous la forme d’établissements publics, elles ne sont devenues des collectivités locales qu’en 1986 lors de la première élection des conseils régionaux au suffrage universel. Face aux départements, dont le rôle ne s’est pas effacé, bien au contraire, elles sont aujourd’hui pénalisées par un mode de scrutin qui les éloigne du territoire. La question se pose même, au regard de leur démographie et de leur potentiel économique, de la viabilité de certaines d’entre elles. C’est pourquoi le Comité a proposé de renforcer les régions françaises en facilitant leurs regroupements volontaires et en imbriquant leur élection avec celles des départements, qui demeureraient.

Nonfiction : Quels effets concrets sont à attendre de la proposition du Comité concernant la création d’une dizaine de grandes "  métropoles "  ?

Frédéric Puigserver : Le fait urbain s’est progressivement affirmé comme une évidence dans la vie de nos concitoyens, sans que s’y soient toujours convenablement adaptées les structures d’administration locale. Dans la dizaine des plus grandes agglomérations françaises, peuplées de plus de 400 000 habitants, le maillage étroit de notre tissu communal, qui favorise la proximité, ne permet pas toujours la réalisation dans des conditions satisfaisantes, de projets plus vastes. La création, dans ces agglomérations, d’une collectivité unique dénommée "  métropole " , appelée à mener à bien de tels projets et à exercer également les compétences du département, confortera la place de notre pays dans la compétition internationale des grandes aires urbaines. D’autres agglomérations, plus petites, pourront ensuite les rejoindre.

Nonfiction : Quelles modifications des attributions des collectivités locales le Comité propose-t-il ?

Frédéric Puigserver : Le Comité s’est convaincu qu'un approfondissement de la décentralisation emprunterait nécessairement le chemin d’une clarification de la répartition des compétences entre les collectivités locales. Il a formulé quelques propositions allant en ce sens comme, par exemple, l’attribution au niveau régional de l’ensemble de la politique de formation professionnelle. L’idée serait de faire de la région et du département le moteur principal du développement économique et de la solidarité et de réserver aux intercommunalités et aux communes les actions de proximité. Surtout, il s’agirait de réserver la "  clause générale de compétence "  – permettant à une collectivité locale d’intervenir dès lors qu’existe un intérêt local – à la collectivité la mieux à même de l’exercer, c’est-à-dire, eu égard à leur rôle de proximité, aux communes et, à terme, à leurs groupements.

Nonfiction : Ne pensez-vous pas que renforcer les régions, créer de puissantes "  métropoles " , et concentrer certaines attributions dans les mains des collectivités locales, comporte le risque d’un affaiblissement de l’autorité de l’Etat ?

Frédéric Puigserver : Le véritable risque n’est pas celui de collectivités locales trop fortes, mais bien de la faiblesse des structures actuelles. De même que même que doit exister, au niveau central, un équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, de même, les pouvoirs locaux doivent-ils être à même d'équilibrer le pouvoir central. C’est une idée profondément libérale.

Nonfiction : Qu'en sera-t-il pour Paris et la région Île-de-France ?

Frédéric Puigserver : La région Île-de-France présente de fortes spécificités par rapport au reste du territoire. Peuplée d’environ 12 millions d’habitants, elle comporte une zone urbaine dense – Paris et ce qu’il est convenu d’appeler les départements de la "  petite couronne "  – de 6 millions d’habitants, occupant moins de 10 % du territoire régional. Or, dans cette zone, où le morcellement des structures administratives est encore moins justifié qu’ailleurs, la coordination entre collectivités locales est notoirement insuffisante. Il importe donc de rattraper le retard pris dans la région capitale, en comparaison des autres grandes villes françaises et des autres capitales européennes ou mondiales. Le Comité a donc proposé la création d'un "  Grand Paris " , formé par le département Paris et les trois départements de la "  petite couronne "  et doté des compétences de ces départements et de la plupart des compétences des communes situées sur son territoire. La coordination en matière de transports, de logement, d'urbanisme s'en trouverait nettement améliorée.

Nonfiction : Quelles sont les nouvelles personnalités qui vont émerger de cette réforme ?

Frédéric Puigserver : Il émergera de cette réforme des élus locaux à la tête de collectivités plus fortes et plus responsables. Mieux identifiés aux compétences dont ils auront la charge – le développement économique et la solidarité pour les élus communs aux régions et aux départements et la proximité pour les élus communes aux intercommunalités et aux communes – leur légitimité démocratique sera renforcée. Les présidents de régions et, dans les grands centres urbains, le président du "  Grand Paris "  et les présidents de "  métropoles "  seront des acteurs majeurs du développement de notre pays.

Nonfiction : Quel est le calendrier de la réforme ?

Frédéric Puigserver : Le Comité a proposé que les réformes les plus importantes prennent effet en 2014, date des prochaines élections municipales et date des élections cantonales qui suivront celles de 2011. D'ici là, plusieurs textes viendront préparer la réforme, à commencer par une loi d’orientation qui devrait présentée en conseil des ministres au début de l'été, en vue d'une discussion au Parlement à la rentrée.

Nonfiction : Toutes les propositions du Comité n'ont été adoptées à l'unanimité et le Président de la République a appelé à poursuivre la réflexion sur le "  Grand Paris " . Est-ce un signe avant-coureur de l'enterrement de la réforme?

Frédéric Puigserver : Un sujet comme l’administration du territoire touche à de nombreux intérêts et à beaucoup de situations considérées comme acquises. Il n'est pas étonnant, dès lors, que certaines résistances se soient manifestées. Il reste que 16 des 20 propositions du comité ont été adoptées à l'unanimité et que 4 autres – importantes il est vrai – ont tout de même été votées à une large majorité. Depuis la remise du rapport au Président de la République, les pouvoirs publics ont manifesté à plusieurs reprises leur volonté d'aboutir rapidement. Le gouvernement conduit actuellement une concertation avec les parties intéressées, ainsi qu'un travail interministériel, qui devraient conduire, à brève échéance, à l'examen d'un projet de loi au Parlement. Quant au "  Grand Paris " , c’est le Comité lui-même qui avait appelé à approfondir la concertation à partir de la proposition qu’il avait formulée. Depuis quelques mois, les esprits ont évolué et, comme l’indique le titre du rapport du Comité, maintenant, "  il est temps de décider "