Sur les réformes de la recherche le président de ‘Sauvons la Recherche’ donne un aperçu militant qui alterne passages lucides et affirmations partiales.

Après l’annonce des programmes de recherche de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour 2008, qui a eu lieu il y a quelques jours, il n’est pas inintéressant de se pencher sur les principales réformes en cours de la politique de la recherche en France. Le livre de Bertrand Monthubert, le président de l’association Sauvons la Recherche, en donne un aperçu militant, qui alterne des passages incisifs et lucides, et des affirmations partiales et injustifiées. Décidément, après le livre de Jean-Pierre Raffarin sur la décentralisation (dont on peut retrouver ici la critique) cette nouvelle collection des "10+1 questions à" dirigée par Pierre-Luc Séguillon ne s’illustre pas par sa qualité, et nous souscrivons aux critiques formulées par Jean-Philippe Thiellay : mêlant questions générales et questions techniques, ce livre entre dans les détails de certains sujets et oublie des pans entiers de problèmes sur d’autres. Surtout, le principal reproche qu’on peut faire au scientifique qu’est Monthubert c’est l’utilisation bien peu rigoureuse des données, utilisant des études chiffrées quand elles confirment ses thèses et des exemples peu représentatifs quand les données risquent de le contredire.


Un monde de la recherche en noir et blanc

Ce qui frappe dès les premières lignes du livre, c’est la vision irénique du métier de chercheur qu’il nous présente. D’ailleurs, ce ne serait qu’à peine un métier mais plutôt "une sorte de sacerdoce laïc" aux "valeurs très différentes de celles du reste de la société (…) de partage, de don, de gratuité". On comprend assez vite la raison de cette présentation : en face de ce monde enchanté, la marchandisation et la politisation de la science doivent être perçues comme d’autant plus menaçantes. Loin de nous la volonté de dévaloriser l’image parfaite du scientifique apportant le bien-être à l’humanité, ou de présenter le cliché inverse des guerres de clans entre chercheurs, des mandarins siégeant au-dessus de leurs disciples et régnant en maîtres sur les nominations, des fonds gaspillés, des recherches inutiles financées publiquement… Ce sont des clichés faux et dangereux, mais ils ne justifient pas que la "défense" utilise l’image inverse. Les sociologues des sciences, comme Michel Callon ou Bruno Latour, ont démonté de manière magistrale cette image du laboratoire coupé des passions du monde. Comme les autres humains, les chercheurs marchent à l’aiguillon du prestige, de la réussite sociale, parfois de l’argent. Mais cela ne discrédite pas la science, cela n’exclut pas l’objectif de la "connaissance pure".

Mais cette vision en rose du laboratoire serait inoffensive si elle ne se doublait pas quelques chapitres plus loin d’un mépris total, qui va jusqu'à la distorsion des faits, pour toute mise en rapport de la science avec une autorité extérieure, et en particulier pour la recherche privée. D’abord sur le Crédit Impôt Recherche (dans le chapitre 4 sur le financement public de la recherche), dont il dit d’abord qu’il n’a pas été évalué, et dont il déduit qu’il est un cadeau aux entreprises   . Mais cela empire : au chapitre 7 ("Les grandes entreprises achètent-elles les chercheurs ?"), Monthubert cite une étude montrant que les laboratoires pharmaceutiques privés qui font des tests de médicaments fraudent davantage que les universités. Résultat en effet très troublant et qui met en doute la capacité des entreprises privées à faire de l’expertise sur des domaines où les intérêts sont énormes. Nous ne pouvons qu’acquiescer à l’argument : il y a certaines recherches que le public devrait conserver, comme l’expertise et la vérification des produits mettant en jeu la santé humaine ou l’environnement. Mais l’auteur poursuit, et donne lui-même dans la manipulation de données, contre laquelle il faut mettre en garde le lecteur. Il présente par exemple des résultats de sondages sur le soupçon des Français vis-à-vis de la recherche, dont on a du mal à voir la pertinence ici (d’autant plus que l’auteur nous a prévenus de l’ignorance du monde scientifique par le grand public au début du livre ; utiliser les opinions de personnes non informées sur un problème complexe, voilà un exemple de rhétorique antiscientifique). Dans un second temps, il donne un exemple : celui du professeur coréen Hwang, qui a falsifié ses données sur des cellules souches. Scandale mondial en 2005-2006, et le lecteur non informé d’être persuadé que le grand capitalisme est à l’origine de cette perversion de la science. Mais était-il financé par le privé ? Non, il travaillait à l’Université nationale de Séoul. Mais cela, Monthubert ne le précise pas, et affirme implicitement le contraire.


La régulation de la science, un problème complexe

La science est donc une activité difficile à réguler. L’État est-il un si bon acteur dans ce domaine ? Monthubert critique le recul du financement public, mais oublie de préciser que cette diminution est due en grande partie à la baisse des crédits militaires. Lesquels n'ont d'ailleurs pas donné que des résultats néfastes, puisque le réseau Internet est issu de recherches au sein du Pentagone. Et à l’inverse, des firmes privées ont fait des découvertes contribuant au bien de l’humanité largement au-delà du profit qu’elles ont pu en tirer (Bell Labs découvrant le transistor par exemple).

Pourtant, les passages sur l’évaluation de la science sont tout à fait intéressants. La bibliométrie, méthode d’évaluation des chercheurs mal connue qui se base purement sur le nombre de publications et sur la qualité des revues, est très bien décrite   . D’autre part, les chapitres sur l’ANR et le pilotage centralisé de la science, ainsi que sur la bureaucratisation des soutiens aux projets de recherche mettent dans une lumière crue les dysfonctionnements de l’administration scientifique vers laquelle les politiques actuelles tendent. La science étant avant tout un domaine aux résultats indéterminés (on ne sait jamais à quoi peut aboutir une idée ou une expérience), il est dangereux d’en confier la direction à des acteurs extérieurs, ou bien d’abandonner la recherche fondamentale. Mais comment faire ? Activité à la fois coopérative (ce que Monthubert ne cesse de rappeler) et concurrentielle (ce qu’il a tendance à oublier), il est difficile d’en trouver une régulation optimale. Mais ce n’est pas avec des thèses manichéennes qu’on y parviendra.