Un brûlot affligeant qui prétend déjouer la grande mystification scientifico-politique du XXI siècle : la lutte contre le changement climatique. À éviter.

Quand le gros bon sens populaire s’érige en seul juge crédible des travaux menés depuis trois décennies par des scientifiques du climat qui auraient perdu le nord, hypnotisés par les prophéties catastrophistes des nouveaux prêtres de la « religion écolo », le lecteur est gagné par deux sentiments opposés : le rire franc que peut déclencher une bonne blague, qui cède progressivement la place à l’angoisse que les thèses défendues dans cet essai ne séduisent certains esprits crédules.

Le sursaut du bon sens contre les affabulations scientifiques

Dans la posture du libre penseur, invoquant – sans crainte du ridicule – les préceptes de la méthode cartésienne qui guide l’« honnête homme », Christian Gerondeau se lance dans une croisade anti-écologiste, investi de la haute mission de débusquer les fausses vérités sur la menace climatique, de révéler les vrais coûts des politiques françaises de l’énergie et des transports et enfin de désamorcer les peurs irrationnelles de l’opinion sur l’avenir de la planète. Peurs entretenues par les charlatans de notre époque, les conspirateurs écologistes qui auraient trouvé dans le GIEC un relais scientifique précieux.

On ne trouve dans ce livre qu’un tissu de contre-vérités, où se croisent pêle-mêle des inexactitudes scientifiques, des arguments économiques intenables, des affirmations ridiculement péremptoires, des jugements de valeur non assumés et quelques remarques utiles sur les critères de choix des investissements publics (qu’il serait malhonnête de ne pas mentionner) qui perdent toutefois toute pertinence et toute charge critique une fois noyées dans ce flot d’inepties. Il n’est pas question ici de répondre à toutes les provocations de l’auteur, mais de pointer les thèses les plus grossièrement fausses et de mettre au jour les ressorts d’une rhétorique anti-écologiste primaire et pernicieuse.

Et si le changement climatique n’était qu’une escroquerie intellectuelle


Le message de notre héraut du bon sens se fonde sur ces deux axiomes premiers :
1. il est inutile pour sauver la planète de réduire aujourd’hui nos émissions de CO2, puisque toutes les ressources fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) seront exploitées jusqu’à la dernière unité. Si les pays riches s’en privent aujourd’hui, les pays émergents, la Chine et l’Inde en tête, se chargeront de les consommer pour assurer leur développement. L’épuisement des ressources fossiles serait ainsi une certitude contre laquelle toute politique volontariste, tout protocole international sont impuissants.


2. Le changement climatique ne peut avoir pour seule origine la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère et n’est donc pas liée à l’activité humaine. Il suffirait de confronter la courbe d’évolution des températures moyennes de la planète avec celle de la concentration de GES pour se convaincre qu’il n’existe aucune corrélation – sans même parler de causalité – entre ces deux phénomènes. Claude Allègre a raison, le GIEC est frappé d’hallucinations collectives ou hypothèse plus probable, poursuit des objectifs politiques inavoués.



Le meilleur des mondes possibles : le progrès au secours d’un scénario business as usual

Il découle logiquement  de ces deux axiomes que toute cible de réduction d’émissions de CO2 représente une source de gaspillage public et d’inefficacité économique. Pourquoi favoriser le fret ferroviaire alors que le transport des marchandises par camion est bien moins cher ? Pourquoi culpabiliser les utilisateurs de voitures privées alors que leur abandon au profit des transports collectifs est inutile ? Et comble de l’absurde, pourquoi défigurer les paysages français avec d’affreuses éoliennes alors que 80% de notre électricité est d’origine nucléaire, énergie propre puisqu’elle n’émet pas de GES ? Pour économiser la ressource fossile ? Précaution là encore inutile car le progrès technique se chargera d’améliorer sans cesse l’efficacité énergétique des moteurs et que les potentiels encore non exploités des bio-carburants de seconde génération (issus des résidus de végétaux qui ne rentrent pas en concurrence avec l’alimentation humaine) sauront satisfaire les besoins de l’après pétrole. Il faudrait donc avoir le courage de réaffirmer que les camions et la voiture individuelle demeurent les seuls moyens de transport réalistes de l’avenir !

La manne du progrès technique, fruit de cette capacité inégalable de l’homme à s’adapter aux contraintes de son milieu serait sans cesse sous-estimée par les Cassandres de l’écologie. Ces diseurs de mauvaise aventure ont inventé la notion de limite de la nature pour restreindre les désirs de l’homme et ont trouvé dans les catastrophes climatiques un nouveau fonds de commerce très lucratif. A ce titre Al Gore, chef de file des « charlatans planétaires » est épinglé pour son goût des villas luxueuses fort gourmandes en énergie. Et bien que les experts du GIEC reprennent à l’unisson ce refrain dramatique, preuve qu’ils ont perdu toute déontologie scientifique, il suffirait d’un peu de sang froid et d’esprit critique pour ne pas s’effrayer devant les conséquences du changement climatique. Comment les 30 petits centimètres de hausse escomptée du niveau des mers (estimation moyenne du dernier rapport du GIEC en 2007 récemment révisée à la hausse) peuvent-ils réellement soulever des tempêtes d’une ampleur inédite ? Quoi qu’il en soit, les coûts d’adaptation au changement climatique seraient bien inférieurs aux dépenses sacrifiées pour réduire les émissions de GES. La poursuite d’une croissance économique forte représenterait ainsi le meilleur moyen de trouver les solutions à l’épuisement des ressources fossiles et à nous protéger, au moindre coût, contre les sautes d’humeur du climat.

Quelques gestes d’autodéfense intellectuelle préconisés par un économiste de l’environnement pour résister à ces coups bas

La thèse du noyautage du GIEC par des « écologistes pastèques » (vert dehors et rouge à l’intérieur) selon le bon mot de C. Allègre repris ici par l’auteur ne résiste pas longtemps à l’analyse. Les plus de 2500 scientifiques qui composent le GIEC viennent d’horizons, de pays et de disciplines tellement divers qu’un syndrome d’hypnose collective paraît peu probable. Le mode d’élaboration des rapports peut en effet surprendre car il est inédit pour la communauté scientifique. Il s’agit de produire un discours qui intègre l’ensemble des incertitudes scientifiques (les experts sont loin d’être d’accord entre eux) qui demeurent à la fois sur les phénomènes physiques du changement climatique et sur la mesure de ses conséquences socio-économiques. Les formulations absconses des rapports qui sont dénoncées par C. Gérondeau (notamment celles relatives à des seuils de confiance dans les intervalles des hausses de températures attendues) ne reflètent pas une volonté de cacher la vérité mais au contraire une tentative de mettre au jour la réalité de la « science en train de se faire », en faisant part publiquement de ses conjectures, de ses hésitations et de ses controverses. Mettre au point un langage d’aide à la décision publique sous incertitude demeure une véritable gageure.



Quant à l’épuisement inévitable des ressources fossiles jusqu’à la dernière goutte de pétrole, l’argument de bon sens oublie l’effet, moins directement visible mais bien réel, des prix relatifs. Plus le pétrole (ressource non renouvelable par excellence), plus son prix doit nécessairement augmenter relativement à d’autres ressources énergétiques renouvelables ou plus abondantes. Et si le système des prix relatifs se retourne en faveur des ressources renouvelables (le pétrole devient plus cher que les biocarburant par exemple), il n’est alors plus rentable d’exploiter les derniers gisements (souvent d’accès difficile) de pétrole, de gaz ou de charbon. Ainsi, un raisonnement économique très simple peut montrer que tout le carbone présent dans le sous-sol de la terre ne se retrouvera pas nécessairement sous forme de CO2 dans l’atmosphère.

Restreindre nos émissions de CO2 aujourd’hui permet non seulement de réduire l’intensité carbone de l’économie mais aussi de préparer l’après pétrole en favorisant la recherche de substituts. Les mesures volontaristes préconisées par l’Europe (20% d’énergie renouvelable en 2020) encouragent, en outre, une accélération du retournement des prix relatifs en faveur des substituts, au prix d’un gaspillage économique pour les écologistes sceptiques, en vertu des capacités de la puissance publique à pallier les défaillances du marché (prise en considération de l’externalité climatique) pour ceux qui croient à la menace climatique. Ainsi, prétendre qu’il est inutile de limiter les émissions de GES aujourd’hui n’a de sens que si on est convaincu a priori que le changement climatique est soit inoffensif, soit une illusion.

Les vrais enjeux de la lutte contre le changement climatique pour le débat public

Bien que la forme Don Quichottesque de la lutte menée par C. Gérondeau contre l’installation d’éoliennes en France prête à sourire, les questions de l’usage des fonds consacrés à la lutte contre le changement climatique et surtout des motivations profondes de la politique énergétique menée en France et en Europe mériteraient en effet d’être plus transparentes. Il s’agit d’une part de ne pas répéter le « pari technocratique » qui a été fait sans aucune concertation publique préalable à la fin des années 1970 lors du choix stratégique de l’énergie nucléaire en France, et d’autre part d’éclairer le débat public en ne redoutant pas de soumettre à des citoyens avertis le choix de trouver un équilibre entre les coûts présents des engagements pris par la France et leurs bénéfices futurs. Si C. Gérondeau met à juste titre en garde contre les gabegies possibles de l’action publique soucieuse de sauver la planète, la promotion de l’inaction est tout aussi inefficace et dangereuse.

Les systèmes démocratiques sont ainsi sommés de prouver qu’ils peuvent répondre à des défis de long terme et prendre des décisions en contexte d’incertitudes. Il faut pour cela que les finalités de l’action publique soient clairement exprimées. L’objectif ultime est-il de lutter contre le changement climatique ? Ou avant tout de réduire notre dépendance vis-à-vis des pays pétroliers, l’usage de la rente pétrolière apparaissant comme une menace plus grande que celle du changement climatique ? Faisons-nous vraiment le choix de la croissance verte ou les normes environnementales récemment édictées sont un nouveau moyen de garantir des rentes – nécessairement inefficaces – à certains secteurs de l’économie ?

Autant d’interrogations fondamentales qui permettraient d’aller au-delà des seules slogans publicitaires scandés par l’Etat pour témoigner de son enthousiasme vertueux pour les énergies renouvelables et de se protéger contre les facilités intellectuelles démagogiques employés par Christian Gérondeau qui rendent apparemment limpides les phénomènes les plus complexes, sous couvert de bon sens