Le 27 janvier, de nombreux intellectuels catholiques ont lancé une pétition demandant à Benoît XVI, de "condamner clairement" les propos négationnistes de l’évêque intégriste Mgr Williamson. Claire Toupin-Guyot*, spécialiste de l’histoire des intellectuels et de l’histoire religieuse contemporaine, éclaire les récents développements de "l’affaire Williamson".


nonfiction.fr : La pétition lancée par le magazine La Vie réunit, autour de la volonté de condamnation des propos négationnistes par Benoît XVI, des intellectuels catholiques très différents tant au niveau politique que théologique. Ils s'opposent ainsi à la réintégration d'un négationniste dans l'Église. Comment expliquer une telle initiative ?

Claire Toupin-Guyot : La pétition signée par une cinquantaine de personnalités catholiques françaises ne condamne pas des paroles de Benoît XVI (il n’a jamais tenu des propos négationnistes) mais touche à un événement précis, celui qui a conduit le pape à prendre la décision de lever l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, parmi lesquels se trouve Mgr Wiliamson, connu pour ses convictions négationnistes.

Cette expression collective marque une inquiétude profonde des milieux intellectuels catholiques français quant à la portée d’une telle affaire. L’Église catholique peut elle accueillir en son sein une personne qui nie la réalité de la Shoah ? Ceux qui ont signé ont estimé que non. L’enjeu pour les pétitionnaires est bien de s’interroger sur la réintégration possible d’un négationniste. En demandant au pape de condamner clairement les propos de Richard Williamson, les intellectuels expriment aussi leur profonde inquiétude quant à l’évolution du dialogue interreligieux d’autant plus que la publication du motu proprio Summorum pontificum en juillet 2007, qui rendait possible la restauration du missel tridentin, avait déjà ébranlé profondément le dialogue judéo-chrétien. La réaction des différentes communautés juives montre de fait une méfiance accrue quant à la réelle volonté de dialogue de l’Église catholique.

Beaucoup s’interrogent enfin sur la réintégration possible dans l’Église d’un courant dont le supérieur, Bernard Fellay, tout en désavouant les propos de Richard Williamson dans son texte du 27 janvier, ne condamne ouvertement ni le négationnisme ni l’antisémitisme.

 

nonfiction.fr : Y a-t-il déjà eu la manifestation d'une telle mobilisation et unité des intellectuels catholiques au XXe siècle ? Cette affaire marque-t-elle une autonomisation des intellectuels vis-à-vis de l'Église ? Y-a-t-il un divorce entre le Vatican et les intellectuels catholiques ?


"Le refus de la contradiction" : c’est en ces termes que le théologien Hans Küng, sanctionné et interdit d’enseignement, définissait dans Mon combat pour la liberté, publié en 2006, l’attitude du Magistère à l’égard de son travail théologique. On pourrait dire que ce refus de la contradiction se trouve aussi au cœur l’histoire des intellectuels catholiques.

Le Magistère a toujours su s’entourer d’intellectuels. Certains sont des techniciens au service de l’Église catholique avec la charge d’expliquer la doctrine. Leur statut est principalement d’être les garants de l’orthodoxie pontificale. D’autres sont en charge de servir de médiateurs entre la pensée moderne et les positions ecclésiales. Le néo-thomiste Jacques Maritain a incarné la figure emblématique de cet intellectuel catholique, qui pourrait être aussi défini comme un intellectuel romain. Néanmoins, d’autres catholiques ont choisi de marquer plus largement leur autonomie à l’égard du Magistère romain. C’est en quelque sorte la crise moderniste qui a constitué leur acte de naissance lorsqu’ils ont revendiqué le pluralisme théologique, la liberté de recherche et l’accueil de l’altérité.

Le XXe siècle a donc été jalonné de différends entre le Magistère romain et des intellectuels catholiques (le cas le plus emblématique étant la pétition désapprouvant les sanctions à l’égard des prêtres-ouvriers en 1954). Même après le concile Vatican II, qui avait pourtant apporté en son temps un apaisement certain en reconnaissant le pluralisme théologique, le dialogue œcuménique et interreligieux, des tensions ont continué et des pétitions ou manifestes ont circulé. Certains exprimaient leur inquiétude face au raidissement doctrinal et à une absence de liberté de recherche tandis que d’autres soutenaient la position pontificale.

Ce qui est nouveau avec l’affaire Williamson c’est la diversité des tendances qui se sont exprimées à travers la pétition. Ces signataires divergent quant à l’interprétation du Concile Vatican II et certains jusqu’alors avaient toujours fait le choix de l’abstinence médiatique. Or ces différences ont été mises de côté pour dénoncer les risques d’une telle réintégration. L’attitude française n’est d’ailleurs pas isolée, des étudiants en théologie de Lucerne ont envoyé une lettre ouverte le 28 janvier dernier à leur évêque pour s’interroger sur la politique de Benoît XVI tout en dénonçant une "ligne dure".

La réintégration possible d’un courant intégriste qui n’a toujours pas reconnu explicitement le Concile Vatican II pose bien une question fondamentale qui porte au cœur même de l’identité catholique. Quel sera le prix de cette réconciliation si elle doit advenir ?

 

* Agrégée de l'Université et maître de conférences à l’Institut d'études politiques de Rennes, Claire Toupin-Guyot a soutenu une thèse d’histoire publiée sous le titre Les intellectuels catholiques dans la société française. Le Centre catholique des intellectuels français (1941-1976), PUR, 2002, 374p.

 

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