The New Yorker publie un remarquable portrait de Naomi Klein, figure montante de la gauche américaine, à l'instar de ce que fut un Noam Chomsky ou un Howard Zinn dans les années 1970-80. Mais le long article de Larissa MacFarquhar, intitulé "Outside agitator. Naomi Klein and the new new left." (08.12.2008), dépeint, au delà du personnage de Klein, l'histoire sur trois générations de deux familles, les Klein et les Lewis (la famille d'Avi Lewis, le mari de Noami Klein), toutes deux animées viscéralement par la politique et la lutte contre le capitalisme.

Les Klein sont plus radicalisés dans leur approche du politique. Ils partagent le même sentiment de méfiance vis-à-vis de tout mouvement un peu trop structuré, trop "étatisé". L'utopie est anarchisme. Les Lewis, qui ont toujours été socialistes et non communistes, ont toujours cru au politique, à la nécessité du compromis pour le changement démocratique. Ils sont issus du Jewish Labor Bund, un parti antibolchevique, tandis que les Klein prennent leurs racines dans le Jack London Club, un club d'artistes de gauche de Newark, New Jersey, et le Camp Midvale, sorte de communauté hippie écolo.

Ainsi l'article traduit une certaine tension entre Noami Klein et Avi Lewis, la première refusant catégoriquement au nom de la responsabilité vis-à-vis de la postérité de quitter l'Argentine, en proie à de violents soubresauts en 2001-2002 alors que le couple tourne son documentaire The Take, le second professant que leur mission de solidarité s'arrête là où commence le danger pour leur vie, a fortiori pour un pays qui n'est pas le leur. Cette relation duale se complique du fait de l'interférence du beau-père de Klein, Stephen Lewis qui, pétri par l'aigreur de ses désillusions, s'est finalement tourné vers un discours radical prônant la violence contre le système capitaliste.

C'est avec No Logo (1999)   que Naomi Klein commence à se faire connaître, au moment des manifestations antimondialistes de Seattle de 1999. Face à cette force de contestation semblant surgir de nulle part, les écrits de Naomi Klein sont vues comme une possible explication. Elle y célèbre le "laissez-faire organizing", soit une protestation anarchique et anti-corporatiste. Mais c'est avec The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism (2007)   que Klein émerge comme la figure de proue de la nouvelle gauche américaine.

Ce livre est le fruit de constatations recueillies en parcourant le monde comme journaliste. Elle s'est aperçue qu'à chaque fois qu'une crise économique ou militaire a ébranlé un pays ou une région, les populations touchées acceptaient benoîtement une réforme radicale de leur système économique par l'instauration d'un capitalisme orthodoxe. D'où sa thèse : le capitalisme, du moins dans sa forme fondamentale, est incompatible avec la démocratie. Il conduit au malheur de la société, à l'exception des super-riches. Il a besoin, pour se développer et se renforcer, au mieux de mécanismes de fraude, au pire de la terreur et de la torture. Afin de créer les conditions d'acceptation sociale d'une telle dégradation, une crise est nécessaire. Milton Friedman fait alors figure de diable.

 

 

Mais la crise financière de 2008 présente une configuration différente. Si le plan Paulson peut être compris comme une tentative d'enrichir les plus riches en prétextant l'impératif systémique, la contestation massive du plan ne colle pas au récit de Klein. Quoique qu'à la fin de son livre, elle évoque la mémoire comme antidote à la doctrine du choc.

Devenue l'égérie de la nouvelle gauche, icône des stars altermondialistes comme Radiohead ou Laurie Anderson, elle se garde toutefois d'entrer véritablement dans une logique politique partisane. Au contraire, "Move the center", son slogan, consiste à balancer dans le débat public politique des revendications radicales permettant aux politiques de prendre des positions plus à gauche tout en paraissant raisonnable et centriste.

Obama ? Elle et son mari restent sceptiques, voire quelque peu effrayés par sa capacité à mouvoir religieusement les foules. Ils retiennent avant tout une chose : le slogan "Yes we can" est du même niveau, sinon meilleur que le "Just do it" de Nike. Il ne veut rien dire et tout le monde peut y trouver son bonheur.

Comme conclusion, Avi Lewis décrit son épouse comme une "pattern recognizer". Elle aide les gens à reconnaître les structures du monde. Et ce travail constitue le premier pas vers son changement

 

 

* Larissa MacFarquhar, "Ouside agitator. Naomi Klein and the new new left.", The New Yorker, 08.12.2008.