Une analyse méticuleuse de l'ascension politique et médiatique du leader de l'extrême gauche.

* Cette critique sera également publiée dans la revue mensuelle en ligne de la Fondation Jean Jaurès, Esprit critique, dont Thierry Germain est le rédacteur en chef.

 

Longtemps occupé par la gauche de la gauche   , Denis Pingaud a également pris le temps d’écrire l’un des meilleurs ouvrages sur "l’impossible défaite" de Lionel Jospin   .  Olivier Besancenot y est bien sûr évoqué. Une fois. Page 161, accompagné d’Alain Krivine, il prend un café avec Jean-Christophe Cambadélis, alors ordonnateur des hautes œuvres plurielles du locataire de Matignon.

Christophe Nick, dans sa somme sur le trotskisme   , ne se décide à parler du postier de Neuilly que page 587, et c’est pour lui promettre un fort peu charitable 0,5% à la présidentielle de 2002, alors toute proche. Michèle Cotta consacre 400 pages à cette échéance sans faire plus de cas du candidat de la LCR   . Les exemples pourraient être multipliés.

Autant dire qu’il aura fallu quelques temps pour qu’apparaisse dans toute sa dimension un "effet Besancenot". Lequel est affaire de goût et d’intérêt.

Le goût est avéré. Coqueluche des médias, sujet de prédilection des commentateurs, performer remarqué en matière de sondages et, à l’occasion, produit dérivé pour la presse people, le leader du presque né NPA ne laisse pas indifférent. Il fallait donc que biographes et analystes se mettent de la partie.

L’intérêt n’est pas moindre. Olivier Besancenot intrigue pour un triple hold-up réussi, sur la gauche radicale française, sur une option politique plutôt dans l’air du temps (la dénonciation du capitalisme), et sur un réservoir de voix qui pourrait susciter des appétits grandissants.

La conviction de Denis Pingaud est faite : il est grand temps de s’intéresser sérieusement à ce qui passe du côté de la défunte LCR. Voyons donc avec le directeur adjoint d’OpinionWay quels sont selon lui "les faits" Besancenot.

 

En fait, le phénomène Besancenot est profond et durable

Il serait en passe de réussir cet exercice pourtant délicat de passage d’une "popularité sondagière" à une "popularité électorale" (Pascal Perrineau).

Au soir d’un triste 21 avril 2002, l’inattendu candidat de la LCR empoche un capital de 1 210 562 voix (4,25 %). Un succès certes, mais d’abord un "vote d’influence" (Vincent Tiberj), c'est-à-dire un message envoyé par les électeurs de la gauche plurielle à leurs formations respectives. Ces voix qui se sont portées sur lui ne sont pas encore à lui.

Dans les années qui vont suivre, ce petit pactole électoral va pourtant se consolider, et notablement évoluer en nature sinon en volume. Pourquoi ?

D’abord parce qu’Olivier Besancenot va réussir à incarner la forme française d’un phénomène plus général. Au plan européen, Denis Pingaud cite, tout en marquant les différences, le Linke allemand, le Socialistiche parti néerlandais, le Bloco de Esquerda portugais ou l’alliance rouge et verte danoise.

Ensuite, parce que des manifestations anti-Le Pen au référendum sur le "non", en passant par la lutte contre le CPE et la mobilisation sur les retraites, Olivier Besancenot et la LCR n’auront manqué aucune occasion de faire fructifier ce capital de sympathie, et d’incarner un certain refus du système.

Enfin, parce que les échecs successifs dans la création d’un front large anti-libéral lui profitent de facto. Seul finalement en situation de le faire, il capte les électeurs de gauche en recherche de "nouvelle radicalité". Avec, au terme de ce processus, le succès de sa deuxième candidature présidentielle.

Si les dirigeants de la LCR font alors le choix de créer le NPA, c’est que leur médiatique leader est assis selon Denis Pingaud "sur un socle dur de popularité sondagière et électorale", qu’ils peuvent espérer mieux traduire au plan politique en adaptant leur organisation à "l’ère Besancenot".

 


 
Détenteur d’un électorat de gauche qui mord sur les sympathisants socialistes et communistes, il fidélise fortement sur sa personne. Surtout, tout en gagnant des points chez les ouvriers et les moins nantis, il conserve un réel "vote bobo". "Candidat de synthèse" (Vincent Tiberj) "à même de capitaliser à la fois sur l’antilibéralisme économique et le libéralisme culturel", il réalise un mariage inédit entre "résistance sociale et ouverture sociétale". Une "forme de conciliation des gauches" et une équation toute personnelle.

 

De fait, c’est un phénomène appuyé sur Olivier Besancenot lui-même

Sans histoire(s), sans bilan en tant qu’élu, jeune, postier, soignant sa non-appartenance au cercle des professionnels de la politique, il surfe sur "la crise de la représentation qui mine la société française". Neuf, offrant un équilibre savant entre le salarié moyen et le "bobo" parisien, son "il nous ressemble" ratisse large, facilitant identification et adhésion.

L’auteur bâtit ici un lien entre pessimisme social et crise politique. Dans ce schéma, l’omniprésence de l’argent aurait pour corollaire la corruption, la montée des inégalités le récurrent "ils ne sont pas comme nous". Besancenot, dans un tel contexte, offrirait la double originalité d’une démarche clairement critique appuyée sur un homme réellement différent.

Cette personnalisation très étudiée, ajoutée à une certaine liberté de ton modifieraient le rapport entre la gauche radicale et la notion d’individu, dont chacun sait qu’elle est l’un des paradigmes de notre époque. Olivier Besancenot serait aujourd’hui capable d’incarner un rapport neuf entre individu et collectif.

Omniprésent sur le terrain, "passeur de ce sentiment dominant selon lequel le monde ne tourne pas très rond", le leader de la LCR occupe, sur le front social, un espace largement déserté "par un PS déchiré, un PC inaudible et des Verts confus".

Enfin, Besancenot est incontestablement un enfant de la télé, et joue à merveille de ce qui reste, aujourd’hui, le média de référence.

 

C’est un fait, ce phénomène est porté par une "autre parole"
 
"Les médias et Besancenot se tiennent par la barbichette : lequel des deux aura une tapette ?", voilà la problématique posée.

En 2002, le jeune postier fait d’abord la campagne classique des candidats de témoignage : salles vides, chaises qu’on enlève, premières télés la peur au ventre, sondages atones et fatigue sans nom. C’est la séquence officielle et sa fenêtre médiatique qui vont vraiment lancer la candidature et le phénomène Besancenot.

Bien décidé à ne pas s’encombrer de préventions idéologiques pour "gérer sa part de marché du débat citoyen", Besancenot est «un bon client" pour des médias "qui encouragent la personnalisation jusqu’à l’user" (Michel Botton), au risque de voir sa légitimité cathodique l’emporter sur sa légitimité politique.

Doté d’une image symbolique forte et d’une réelle capacité à faire spectacle, sachant jouer de l’humour et de la dramatisation, il maîtrise surtout "une autre forme de parole", qui inclut de par son style le spectateur dans l’échange, et l’implique bien au-delà que ne le font les traditionnelles démonstrations des responsables politiques.

Modeste, sympathique, n’hésitant pas à afficher ses doutes et son approche individuelle, le jeune leader est à l’aise à la télé, qui le lui rend bien. Jusqu’à l’overdose ? Et surtout dans quel but ?

 

Premier méfait, c’est un phénomène qui fracture la gauche

Olivier Besancenot ne cristallise pas son électorat sur sa seule personne mais sur une vision politique.

Trois traits dominent chez ses partisans : un doute profond sur la capacité de régulation économique et sociale de nos institutions, un rapport exacerbé aux inégalités sociales et un scepticisme en forme de condamnation tant vis-à-vis de l’Europe que de la mondialisation. Les excès du capitalisme, la crise démocratique et l’épuisement du cycle social-démocrate viendraient, à propos, les conforter dans leurs idées noires.

 



Cette utopie révolutionnaire (changer le système), ce doute dans la capacité d’agir via  les mécanismes classiques de représentation, cette foi dans l’auto-organisation du mouvement social, cette radicalité vis-à-vis des réformes et cette autonomie vis-à-vis des pouvoirs, sont depuis longtemps inscrits dans le logiciel de la gauche extrême en France.

En adaptant cette base historique à l’air du temps et aux nouvelles formes de protestation, et surtout en l’incarnant, Besancenot aurait construit une nouvelle option politique clairement positionnée en alternative à la gauche de gouvernement. Et, ainsi, réinstallé deux gauches irréconciliables dans le paysage politique français. 

L’un des termes de cette nouvelle équation sera donc le NPA.

 

Mal fait, ce phénomène paradoxal sera porteur d’échecs

Désireux de renouveler l’opposition ancienne entre révolution et réforme, Besancenot sait cependant devoir faire écran avec un parti et un passé peu porteurs. S’il veille à ne pas s’enfermer dans des modèles idéologiques trop précis, il mesure aussi que cet équilibre précaire ne peut pas durer éternellement.  

La mise en avant du Che ne doit rien au hasard : faisant plutôt bon ménage avec l’altermondialisme en vogue, installée dans une Amérique latine en proie à une réelle effervescence politique, la figure du Che a comme autre avantage de bien "border" deux questions récurrentes : la nature démocratique du socialisme en devenir et la violence révolutionnaire.

Car son programme n’est pas le point saillant de la démarche politique d’Olivier Besancenot, et il arrive à la LCR et à son leader de faire chambre commune et rêve à part. Même porté par lui, ce projet dans l’ensemble "n’en convoque pas moins une utopie politique qui n’a rien d’inédit" (Pingaud).

Et si l’on peut avancer comme l’auteur que le simplisme du discours importe peu face "au déficit de crédibilité d’une majorité sans résultats et d’une opposition sans programme", et même si l’on sait depuis Audiard "qu’il est cent fois plus facile de morceler le cosmos à l’usage des claustrophobes que de vendre un terrain à Barbizon", la difficulté reste entière.

Difficile pour Besancenot d’en appeler à "une autre société" sans rameuter illico quelques figures et mythes révolutionnaires plus très en vogue. Difficile de prétendre fonder "un nouveau" parti anticapitaliste en escamotant la vieille garde trotskiste qui en sera indéniablement l’ossature militante.

La création du NPA repose donc sur quatre hypothèses.

D’abord, répondre aux espoirs investis dans Olivier Besancenot. Déjà visibles dans la structure militante de la ligue, les effets de sa médiatisation réussie doivent être mieux traduits au plan purement politique. Reste que cette hyper-personnalisation n’est pas sans danger (quid par exemple de la stratégie du NPA pour les prochaines Européennes).

Ensuite, ce parti est bâti sur le renoncement à fédérer l’ensemble de la gauche anti-libérale. Cela le prive d’une dynamique de rassemblement, laisse ouverte quelques hypothèses concurrentielles et risque de donner un poids déterminant à la matrice trotskiste.

Troisième hypothèse, une indépendance totale vis-à-vis du parti socialiste et donc une logique isolationniste qui présente deux risques majeurs : thésauriser les suffrages du nouveau parti et rendre singulièrement obscurs le sens et l’usage exacts des voix qui lui seront apportées. C’est le rôle même du NPA dans le travail de transformation sociale et dans le combat politique contre la droite qui s’en trouvent obscurcis. Comme Cioran, Besancenot pourra peut être dire un jour "avoir approfondi dans les moindres détails tout ce que je n’aurai jamais fait".

 



Enfin, et par conséquent, le choix de dépasser la logique classique de représentation se focalisant avec succès sur le front social et "les héros du quotidien". Pour l’heure, la "fenêtre de tir" ouverte par le contexte international, la politique de Nicolas Sarkozy et l’impuissance du PS suffisent à capitaliser des voix. Mais demain ?

 

C’est bien fait pour le PS ?

Véritable adresse aux éléphants socialistes qui bien sûr "se trompent énormément" (ça en devient une fonction sociale !), l’ouvrage de Denis Pingaud positionne la démarche d’Olivier Besancenot comme dialectique avec celle d’un PS atone et aphone, empêtré dans d’interminables querelles de leadership, incapable d’incarner une opposition au sarkozysme et moins encore une alternative au libéralisme.

Denis Pingaud s’emploie à motiver l’intérêt des dirigeants socialistes pour le facteur Besancenot, en s’appuyant sur une très récente étude (septembre) menée par son institut, laquelle atteste (en annexe) que "l’effet Besancenot tourne à plein régime".

En se basant sur ce sondage, Denis Pingaud propose au PS d’organiser une triple confrontation : de terrain, puisque le leader du futur NPA agit comme le révélateur des insuffisances du PS dans ce domaine ;  d’idées, dans la mesure où un anticapitalisme marqué traverse fortement l’électorat de gauche ; stratégique enfin, dans la mesure où 90% des électeurs qui envisagent de donner leur voix à Olivier Besancenot le verraient bien intégrer un gouvernement socialiste en 2012. 

"On diminue la taille des statues en s’éloignant, celle des hommes en s’approchant" avait remarqué, non sans une froide ironie, Alphonse Karr. Conscient des limites du phénomène Besancenot mais sensible cependant à ses potentiels, Denis Pingaud n’a pas bougé d’un pouce. Et nous offre un portrait contrasté qui mérite que nous fassions le détour