Le nouveau magazine du Louvre, Grande Galerie, cherche à créer une nouvelle relation entre le musée et l'amateur d'art. Pourtant, on peut légitimement s'interroger sur la valeur ajoutée d'une telle publication, et sur les intentions commerciales que cache cette initiative.

Voilà à peine un an, une pétition signée par de nombreux conservateurs de Musées à l’occasion de la collaboration entre le Musée du Louvre et le High Museum d’Atlanta dénonçait la « marchandisation » de l’art. Un an après cette polémique, Le Louvre revendique sa capacité à innover en proposant un nouveau magazine : Grande Galerie.

L’idée n’est pas récente : la Tate britannique avait dès 2002 – en partenariat avec le groupe Condé Nast (Vogue, …) – lancé Tate Magazine, devenu plus tard Tate etc. En France, l’exemple le plus notable est celui de Palais/, magazine proposé par le Palais de Tokyo l’hiver dernier. Si chacun de ces projets éditoriaux sont différents, tous, à leur manière, avec plus ou moins de finesse ou de ruse, tentent d’infuser l’idée que le lieu, le musée, la collection deviennent transportables, consultables, collectionnables à leur tour… La stratégie est de révolutionner le rapport au public, en le laissant s’approprier l’art.

A ce jeu de cache-cache, Grande Galerie excelle dans un premier temps et n’hésite pas à mettre son lecteur à l’aise. La revue devient notre « amie » nous dit-on, on nous parle de « notre » musée et le rédacteur en chef tente aussi de nous convaincre que le magazine serait une « galerie tactile portative »… Après ces promesses, piochées dans les trois premiers textes (éditoriaux ?) de ce premier numéro, le lecteur ne risque pas d’être désorienté par le sommaire qui est centré sur les « blockbuster » du musée : Venise, Arcimboldo, l’Egypte et un people pour clore le tout : Roberto Alagna. Le magazine invite à l’évasion avec la photogénique Ispahan et les amateurs de mobilier ont aussi leur article sur le style Biedermeier.

Toutefois, si les textes sont irréprochables et l’iconographie de grande qualité, le lecteur pourra se questionner sur la nature du magazine qu’il parcourt (et qu’il vient d’acquérir pour la somme non négligeable de 6,90€ ce qui en fait le plus cher du genre — Beaux Arts Magazine 6,50€ ; L’œil 4,90€ ; et Le Journal des Arts 5€).  

Presse ou communication ? Science ou promotion ?

En effet, on se lasse, au fil des 120 pages, de la multitude de renvois, qui sont discrets mais révèlent l’aspect très commercial cette Grande Galerie. Ce sont au total plusieurs dizaines d’invites à des expositions, des spectacles, à des conférences ou à la librairie du Louvre pour acquérir un ouvrage qui « prolonge » l’article — à moins que ce ne soit l’article qui en constitue l’introduction. Pour les plus distraits toutes ces « informations pratiques » sont agrégées dans un copieux agenda de quatre pages, en fin d’ouvrage.

Au jeu dangereux de l’éditeur qui devient son propre sujet, la victime est sans doute le lecteur qui se sent rapidement exclu… et ce, dès le premier texte. Signé de Marc Fumaroli, le lecteur se sent indiscret déchiffrant ces lignes qui semblent sorties du bulletin interne de la Société des Amis du Louvre, que l’académicien préside. Son incipit est un programme à lui seul : « Nombre d’Amis du Louvre se sont déjà abonnés à Grande Galerie […] Ils ont fait ce geste en toute liberté. Ni le musée, ni notre conseil n’ont voulu d’un abonnement obligatoire inclus dans des cotisations augmentées »… et les occurrences de cet « entre-soi » sont nombreuses…

Evitons de juger trop vite une initiative ambitieuse et novatrice mais interrogeons nous sur le projet en lui même et sa valeur ajoutée. D’un côté, le site internet du Louvre   - dont l’accès est entièrement gratuit – est riche et en évolution constante ; d’autre part, on assiste à l’explosion d’une presse gratuite qui développe un modèle de financement original. Dans ce contexte, quelle pertinence peut avoir le titre payant du musée ? On se souvient de l'échec du magazine payant de la Fnac, Epok.
On peut même aller plus loin, et se demander pourquoi le Louvre a pris le risque de concurrencer les autres titres du fragile secteur Art, qui couvraient jusqu’alors avec fidélité l’actualité du Louvre ? Grande Galerie bénéficiera-t-il d’informations inédites par rapport à ses « concurrents » ?

A ces questions, et à tant d’autres, nous espérons avoir des réponses. En attendant, nous flânerons avec plaisir devant les vitrines de la Grande Galerie.

Emmanuel Bérard