À l’occasion de la présidence française de l’Union, la XIe édition des Rendez-vous de l’histoire organise un cycle monumental de vingt-sept leçons d’histoire européenne dans toute la France dispensées par vingt-sept grands historiens de l’Union, un par État membre.

Éric Hobsbawm a inauguré ce cycle de conférences ce lundi 23 septembre 2008 par une leçon intitulée "Europe : histoire, mythe, réalité" qui se tint dans les Salons de Boffrand de la présidence du Sénat.

Jean-Noël Jeanneney, président du conseil scientifique des Rendez-vous de l'histoire et ancien président de la Bibliothèque nationale de France, a introduit la leçon par un éloquent rappel de la place de l'œuvre et de la figure d'Éric Hobsbawm. Professeur émérite de l'université de Londres et de la New School for Social Research de New-York, l'historien britannique, spécialiste de la question des nations et des nationalismes en Europe (XIXe et XXe siècles) est, en effet, une figure. L'homme, de plus de quatre-vingt-dix ans, fut membre du Parti communiste de Grande-Bretagne et collabora à la revue Marxism Today pendant près de cinquante ans. Considéré comme "vraisemblablement le plus grand historien vivant" par David Caute, encensé par Tony Judt – "Hobsbawm ne possède pas seulement plus de connaissances que d'autres historiens, il écrit également mieux qu'eux" –, Hobsbawm possède un charme particulier, un physique étonnant qui nous émeut.

L'historien annonce d'entrée de jeu qu'il est "assez sceptique" sur l'évolution de l'Europe. Il décèle une confusion commune entre l'histoire et la géographie, et souligne le flou des frontières de l'Europe. Sa frontière Est n'est en rien naturelle. L'Europe cartographique est, souligne-t-il, une construction moderne et politique.

Il relève ensuite que les précédents historiques sur lesquels tente de s'enraciner l'Union européenne sont inopérants. Napoléon et Hitler ont construit une Europe par la force armée. Rome était un empire méditerranéen. L'empire carolingien, une partie de l'Europe. Le fait est que l'Europe politique est historiquement jeune, tandis que l'Europe historique est bien plus ancienne. Elle remonte, selon l'historien, à Hérodote, et se fonde sur une logique d'exclusion, contre les barbares, et principalement contre l'Asie.

"De la politique au mythe, il n'y a qu'un pas" ne cesse de rappeler Hobsbawm, et l'Europe n'échappe pas à la recherche du mythe d'une "identité primordiale". Toutefois, entre le mythe et la réalité, l'écart se trouve être extrême. L'Europe se caractérise fondamentalement par la diversité et la fragmentation, non par l'unité, contrairement à l'Asie. L'histoire post-romaine est une histoire fragmentée, celle de l' "Europe des rivalités". Hobsbawm rejette l'idée de l'émergence d'une identité européenne à travers la résistance des États européens aux invasions. Au contraire, c'est à cette époque que se rompt l'unité chrétienne. En outre, la période comprise entre 1453 (chute de Byzance) et 1683 (deuxième siège de Vienne) voit une partie de l'Europe tournée vers l'offensive militaire, avec notamment la Reconquista. La découverte de l'Amérique, la confrontation avec les peuples amérindiens, constituerait, selon l'historien, le début d'une prise de conscience raciale.

 

 

La paix de Westphalie de 1648 marque la transformation de l'Europe constituée d'États souverains et l'avènement de la rationalité politique et laïque. Certes, la République des Lettres existait pour ses quelques milliers de membres. Mais au XIXe siècle, si l'Europe se distingue par son ensemble inédit d'institutions, d'éducation et de culture, la prétention est, toutefois, universelle et non délimitée géographiquement. Hobsbawm conclut, péremptoire, que la recherche d'un ensemble cohérent de valeurs européennes est anachronique. Ce n'est qu'à la fin du XXe siècle que les institutions communes et les valeurs européennes se développent véritablement.

L'historien parle de "pluralisme contradictoire" pour évoquer l'absence de centre de pouvoir en Europe. Les frontières politiques des États européens n'ont que peu de pertinence au regard des réalités économique, sociale et culturelle. Toutefois, Hobsbawm discerne un centre économique, démographique et intellectuel de l'Europe : l'arc territorial qui s'étend du nord de l'Italie jusqu'au sud-est du Royaume-Uni. À ce centre correspond quatre régions périphériques, dont seule celle du nord, la Scandinavie, a réussi à s'intégrer au centre.

Éric Hobsbawm estime que l'Europe n'est pas totalement sortie de son "hétérogénéité meurtrière", mais considère le bilan de la construction européenne "globalement positif". La deuxième moitié du XXe siècle se caractérise, en effet, par une convergence inédite dans l'histoire européenne : convergence politique, économique, culturelle et juridique. Toutefois, celle-ci se développe dans le cadre de la globalisation.

La paradoxe de l'Europe réside, selon l'historien, dans le fait que les Européens ne s'identifient pas à leur continent. Les élites, notamment économiques, se pensent comme citoyens d'un monde globalisé, tandis que les masses populaires demeurent ancrées au niveau national. Il n'y a pas de démocratie européenne. L'Europe n'existe réellement que dans la vie pratique, et non politique.

Éric Hobsbawm conclut sa leçon par un propos singulier : l'Europe actuelle sera incomplète tant que la Russie n'y trouvera pas sa place. Par ailleurs, l'Europe est, selon l'historien, à un tournant de son histoire. Elle est travaillée par la montée de forces supranationales et infranationales.

S'interdisant toute prospective, Éric Hobsbawm rejoint le présent et interpelle l'Europe en la questionnant : où va l'Europe ? Où se situe-t-elle, prise entre globalisation économique et politique nationale ?

Devant de tels propos appelant la contradiction, nous n'avons pu que regretter l'absence de toute discussion avec la salle

 

*À lire également :

- le programme des 27 leçons d'histoire européenne.