Opérer un nouveau partage des rôles, réformer les institutions. Les propositions de D. Méda pour que les femmes puissent concilier vie familiale et professionnelle.

Dominique Méda souhaite revenir, dans cette nouvelle édition, sur la situation des femmes salariées depuis la première parution de son ouvrage en 2001. Le constat est toujours aussi frappant, même s’il n’est pas nouveau : les mentalités et les institutions ne sont encore pas adaptées à la professionnalisation féminine. La société a tenté tant bien que mal de colmater les brèches mais, selon l’auteure, la situation s’aggrave.

Le livre s’ouvre sur le rappel des multiples freins institutionnels empêchant les femmes de s’épanouir aussi bien professionnellement que familialement. Ils sont connus et dénoncés depuis de nombreuses années : les places en crèche manquent, les entreprises ne s’adaptent pas à l’activité salariée féminine, elles sont aveugles face au souhait des femmes de travailler comme les hommes et surtout, les tâches familiales et domestiques ne sont pas réparties équitablement au sein du couple. L’indifférence publique concernant les inégalités liées à la division sexuelle du travail domestique est flagrante : les femmes doivent tout assumer en même temps et les hommes n’ont pas évolué car ils continuent de penser qu’il est "normal", si ce n’est naturel, que les femmes arrêtent de travailler ou qu’elles réduisent leur temps de travail dès le moment de la naissance d’un enfant. Néanmoins, il semble réducteur de définir les hommes comme étant "unidimensionnels" car cela fait oublier qu’au contraire, ils commencent à prendre conscience du fait que les femmes ne peuvent pas s’épanouir professionnellement comme elles le souhaiteraient ; preuve que même si les mentalités évoluent lentement cela ne veut pas dire pour autant que les hommes ne puissent pas devenir "pluridimensionnels".
 
Les perspectives d’avenir pour aboutir à ce nouveau partage des rôles sont intéressantes. Augmenter le nombre de places d’enfants à la crèche ou le nombre d’assistantes maternelles n’est pas suffisant. Les représentations traditionnelles de la division sexuelle du travail domestique et familial devraient être mises de côté, les hommes s’impliquer davantage dans la vie familiale et aider leurs femmes dans cette activité même si elle est jugée ingrate et rébarbative. Seule la déspécialisation des rôles permettra de retrouver un équilibre entre les hommes et les femmes. C’est ainsi que la place du care doit être redéfinie dans la vie quotidienne des femmes car l’homme doit pouvoir s’acquitter lui aussi de ces tâches de soins. Accepter le modèle "deux apporteurs de revenus / deux apporteurs de soins" est la principale mesure avancée pour permettre cette conciliation. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’existe que ce seul modèle acceptable car certaines femmes ont fait le choix d’arrêter de travailler pour s’occuper de leurs enfants, elles ne le font pas toutes par obligation. Certes, il existe des résistances aussi bien masculines que féminines à ce modèle mais il est temps que la France prenne véritablement conscience de la transformation opérée par l’activité salariée féminine.
   
Pour illustrer ses convictions, la dernière partie décrit ce qu’il est possible de faire et ce sur quoi la politique sociale française pourrait s’inspirer. Certains pays ont su mettre en œuvre un dispositif efficace en vue de permettre aux hommes et aux femmes de concilier à la fois vie professionnelle et vie familiale. Un espoir serait-il possible ?



Certains pays du Nord (Danemark, Suède) ont clairement pris conscience de l’activité salariée féminine et surtout n’envisagent l’individu que comme ayant plusieurs rôles à accomplir, plusieurs casquettes à porter. Il s’agit de tout mettre en œuvre pour que l’insertion sur le marché du travail soit positive, autant pour les hommes que pour les femmes et que le partage des tâches domestiques soit équitable entre eux. Le lien entre activité familiale et activité professionnelle a donc été théorisé et abouti à ce modèle où les deux sexes sont égaux devant l’emploi et devant les charges parentales. Le contexte social et politique est différent de celui que nous pouvons trouver en France. En Suède où l’on voit par exemple qu’en mars 2008, sur les 349 membres du Parlement suédois, 47 % sont des femmes   . Leur présence et leur influence sur la politique mise en place explique certainement pourquoi ce pays a accordé beaucoup plus d’importance à la conciliation efficace de la vie familiale et professionnelle des femmes. En France où seulement 18, 2 % de femmes siègent au Parlement, il est plus difficile de faire valoir des droits et des souhaits des femmes.

Les Pays-Bas, autre exemple cité, ont réussi là où la France échoue actuellement : le sexe est de moins en moins considéré comme un élément de différenciation sociale. Les taches domestiques et familiales sont valorisées et valorisantes. Les activités de soins participent au bien être individuel et collectif. Il faut tout de même noter que le faible indice de fécondité de ce pays, 1,69 enfants par femme   , peut s’expliquer par le fait que malgré la création d’emplois à temps partiel long aussi bien pour les hommes que pour les femmes, ces dernières doivent choisir entre travailler et materner. Il existe toujours une différence entre la fécondité désirée et celle qui est observée. Ce modèle n’est donc pas une réussite totale, certains éléments doivent être pris en considération pour en expliquer les limites, par exemple les structures de garde formelle ne sont pas suffisantes et les allocations de naissance sont faibles   .

L’Italie, avec son projet des "temps des villes" permet aux femmes de ne plus se charger seules des différentes tâches de la vie quotidienne, au contraire, il s’agit de leur montrer, au travers de politiques temporelles, comment concilier ces différents temps sociaux pour une meilleure qualité de vie. Les temps vont être aménagés et négociés pour qu’ils puissent répondre aux exigences des hommes et des femmes qui travaillent. Toutefois, l’indice de fécondité italien d’1,32 enfants par femme est un des plus faibles de l’Union européenne   , les modes de garde ne sont pas en nombre suffisant et la domination masculine est encore fortement présente.



La société française prend progressivement conscience qu’il y a de plus en plus de couples biactifs et qu’il faut trouver une solution pour partager équitablement les différentes tâches domestiques et familiales… autrement dit, trouver un nouveau partage des rôles. Celui-ci doit permettre non seulement une nouvelle égalité entre les femmes et les hommes mais aussi et surtout de permettre aux femmes de profiter de nouveaux temps sociaux comme les loisirs ou ne serait-ce que d’avoir du temps pour elles. Un nouveau partage des rôles implique une nouvelle façon de penser le rôle de la femme à la fois professionnellement et personnellement.

Les modèles d’autres pays comportent encore certaines lacunes, il est possible pour la France de s’en inspirer tout en précisant que ce ne sont pas les mêmes sociétés, qu’elles ne connaissent pas un développement économique et social identique.

Pour résumer, le message politique de Dominique Méda est le suivant : pour que les femmes s’émancipent du travail domestique, il faut que les hommes s’émancipent du travail. Aujourd’hui, il apparait que les hommes évoluent mais que les institutions ne s’adaptent pas au même rythme. D’autres facteurs que le genre sont à l’origine de la difficile conciliation professionnelle et familiale des femmes : l’accès et le coût des modes de garde des enfants, la durée des congés de maternité et de paternité, etc. La question n’est pas seulement de dénoncer le fait qu’il existe des inégalités entre les hommes et les femmes mais aussi de mettre en avant que certains éléments institutionnels sont la cause de ces difficultés