nonfiction.fr : Comment se répartit le capital entre les différents actionnaires ?

Marc-Olivier Padis : Il n’y a que des actionnaires minoritaires dans le capital. Ceux-ci sont liés à l’histoire : ce sont des générations successives de rédacteurs, des familles… Personne n’a plus de 10%. On peut donc dire que c’est un actionnariat très dispersé.

Olivier Mongin : Mais les actionnaires historiques n’ont jamais mis un centime. Quand on a fait l’augmentation de capital, on a payé nos actions.

Il y a des institutions du monde de la presse et de l’édition qui participent également : Libération, la Découverte, … le Seuil et la revue L’Histoire ont des parts plus importantes, mais personne n’est majoritaire. À l’époque j’avais des liens assez forts avec tous ces gens : ils ont fait ça pour donner un coup de main, mais jamais personne n’a tenté d'influencer le contenu rédactionnel.


nonfiction.fr : À combien d’exemplaires tirez-vous ?

Marc-Olivier Padis : Nous tirons à 9 500 – 10 000 exemplaires. Les abonnés représentent la moitié. Les ventes au numéro varient ensuite selon les dossiers, et peuvent être étalés sur le temps. Il y a certain numéros que l’on réimprime, comme celui sur Sarkozy, réimprimé deux fois à hauteur de 1 000 exemplaires. En moyenne, on arrive à sortir une fois par an un numéro qu’on réimprime.

Les ventes se font par kiosque, librairie ou Internet qui représente maintenant 8 à 10% des ventes.


nonfiction.fr : Vous avez un taux satisfaisant de renouvellement des abonnements ?

Olivier Mongin : Il est assez stable. Mais nous n’avons plus le lecteur fidèle personnaliste militant de la grande époque.

Marc-Olivier Padis : Ce qui a fait Esprit, c’est que nous avons des gens qui ont été abonnés pendant cinquante ans. C'est un profil plus rare. Quand quelqu'un me dit : "J'ai été longtemps abonné à Esprit", il faut entendre maintenant entre 8 et 10 ans.

Olivier Mongin : La fidélisation ne fonctionne plus de la même manière. Il y a un certain équilibrage qui parvient tout de même à se faire, même si pour être franc et clair nous équilibrons plus que nous progressons.


nonfiction.fr : À votre arrivée, à quel niveau était l’audience ?

Olivier Mongin : Nous avons remonté par rapport à cette période. À mon arrivée, la revue tirait à moins de 5 000 exemplaires et nous avions 3 500 abonnés. Nous avons plus tendance à nous stabiliser maintenant. Ceci doit nous amener à "phosphorer" un peu, sans se précipiter.

Nous avons du mal à saisir le profil du lecteur d’Esprit, sorti des critères professionnels et puis du critère étranger : un tiers des lecteurs de la revue est à l’étranger.


nonfiction.fr : Et financièrement ?

Olivier Mongin : Nous n’avons jamais été déficitaires depuis des années.


nonfiction.fr : Combien de personnes sont salariées par la revue ?

Olivier Mongin : Nous deux à temps plein ; la directrice financière, Mireille de Sousa, à temps plein ; un secrétaire à mi-temps ; Michaël Foëssel qui est un quart de temps pour le site et quelques stagiaires tout au long de l'année.


nonfiction.fr : Comment voyez-vous l’avenir de la revue ? Pensez-vous que l’objet revue est un peu dépassé et que le gens cherchent ailleurs des lieux d’analyse et de référence ?

Marc-Olivier Padis : Nous parions, pour le moment, sur la complémentarité du numérique et du papier. La Vie des idées et nonfiction ont une analyse différente. En tous cas, la fonction revue va se poursuivre, j'entends par là la capacité à rassembler des analyses accessibles pour un lectorat non spécialiste et à faire un travail rédactionnel de mise en relations de ces différentes analyses. La demande de textes d’analyse de fonds reste forte. Plus il y aura spécialisation du côté des savoirs, plus il y aura besoin de revues généralistes.

La presse quotidienne d'information générale connaît de plus grandes difficultés que nous. En même temps, nous avons su rester petits, fonctionner sur un modèle artisanal. Dans le domaine des sciences humaines nous diffusons cependant plutôt bien nos textes : nous sommes lus, les gens attendent nos textes. Mais tout cela reste précaire et fragile.

Nous sommes attentifs aux nouvelles opportunités: on peut élargir la palette, à côté du papier, on fait le site Internet, on a fait le DVD. D'autres options s'ouvriront progressivement. Rien n’est exclusif et il n’y a pas de raisons de basculer brutalement d’un modèle à l’autre. Par ailleurs, le défi posé par Internet est de naviguer dans la masse des choses disponibles, il faut donc jouer un rôle de repère, de tri et d'aiguillage, répondre au besoin de labellisation et de sélection. Nous pensons à cela en faisant notre travail éditorial. Ces questions sont aussi thématisées dans des dossiers que nous faisons sur l'avenir de l'édition, du livre, de la presse ou sur les évolutions du numérique ("Que nous réserve le numérique ?", mai 2006)

Olivier Mongin : Nous répondons à un besoin de toute façon. Nous sommes une connexion. Des rééquilibrages vont se faire, nous-mêmes nous tâtonnons. Peut-être faut-il jouer un peu plus le site et alléger la revue, en aménageant un site un peu plus nerveux. Mais il faut sentir la demande.

Je pense qu’on a un rôle à jouer. Je fais le pari que l’on ne peut pas se passer des revues, d’une manière de produire l’information qui mette en avant l’analyse. Nous pouvons avoir un rôle plus nerveux grâce à notre histoire et grâce à nôtre indépendance.


nonfiction.fr : Vous êtes deux à diriger la revue. Considérez-vous que vous travaillez en binôme ?

Olivier Mongin : Nous travaillons ensemble, mais nous pouvons aussi compter sur tout un premier et un deuxième cercle de bénévoles, qui nous permet de réagir face à certains événements, de monter des numéros rapidement suite au 11 septembre, suite à la crise des banlieues, etc.

Marc-Olivier Padis : Il y a un travail important et nous sommes très présents l’un et l’autre, mais nous savons aussi que nous pouvons compter sur des gens, sur tout un réseau.


nonfiction.fr : L’idée de redynamiser le site ne passe pas par l’idée d’ouvrir les commentaires aux internautes ?

Olivier Mongin : Non. Notre force ce serait de pouvoir assumer notre côté "gare de triage". À la fin de la revue, on a une revue des revues, ce serait bien que l’on puisse avoir un "site des sites". Notre travail est aussi d’expliquer pourquoi un site est plus important qu’un autre, de l’argumenter.

Marc-Olivier Padis : Il faudrait imaginer un système interactif qui se ferait sur un mode objectif : du collaboratif portant sur des objets bien définis, permettant des interventions constructives. Mais personne n'attend de nous un espace d'expression spontanée.


nonfiction.fr : Rue89 est un site assez ouvert, qui accueille parfois des contributions d’autres sites. Envisagez-vous à terme, pour dynamiser le site d’Esprit, de publier des textes d’autres sites, d’envisager des partenariats ?

Olivier Mongin : Notre problème est déjà de réussir à faire notre travail. Nous circulons pas mal par ailleurs, nous ne nous restreignons pas à la revue. Nous construisons des choses qui font que nous ne nous laissons pas entièrement prendre par la revue : Marc-Olivier Padis travaille aussi sur ses propres thèmes, moi je travaille sur l’architecture et l’urbanisme, le comique.

Mais nous sentons qu’il y a des choses à inventer. Beaucoup de sites se font, qui ne prennent pas le temps de la réflexion, qui vont trop vite, et nous pensons que nous avons notre place à jouer et à la prendre.


>> L'entretien est en sept parties :


* Pour aller plus loin :

- Notre entretien avec Jean-Claude Casanova, directeur de la revue Commentaire

- La critique du livre dirigé par Jean Baudouin et François Hournant, Les revues et la dynamique des ruptures (Presses universitaires de Rennes), par François Quinton.
Un recueil d'articles inégaux, réunis autour d'une problématique trop floue.