Sujet habituellement tabou, la sexualité liée à la guerre est ici considérée selon tous ses aspects et abordée dans toute sa complexité.

Depuis le 22 septembre et jusqu’au 31 décembre prochain, le Musée de l’Armée présente Amours, guerres et sexualité. Cette exposition est étymologiquement terrible. Elle vient casser la vision habituelle des conflits, y compris ceux qui se déroulent actuellement. Les images et les mots des deux grandes focales des conflits au XXè siècle, le grand reportage et le cinéma, décrivent souvent de façon totalement séparée deux mondes, celui du front et celui de l’arrière. Pourtant deux liens forts les unissent jusqu’à l’obsession : la nourriture et le sexe. Les deux sont en général tabous. Aucun gouvernement en temps de guerre ne peut se glorifier ou se vanter des restrictions alimentaires, il se contente de les organiser, en ajoutant parfois, afin de faire taire les ventres qui crient famine et de mieux faire passer ces restrictions, une ode sur l’indispensable pointe de culpabilité que le civil doit éprouver à l’égard du soldat.
 
Le sexe est tout aussi tabou. Il n’en est pas moins organisé, en tout cas en ce qui concerne la chose militaire. C’est vrai pour les fameux "BMC", bordel militaire de campagne, indissociables des conflits depuis 1914. Cela l’est également de la relation entre le sexe faible et le renseignement militaire.
Devant la profusion de documents qui témoignent tout au long de l’exposition et du livre des amours interdits, de la prostitution, des viols ayant jalonnés les deux conflits mondiaux et des millions d’êtres séparés, on est pris d’un vertige à l’idée que le tabou demeure.

Il ne s’agit pas d’être alimenté en détails graveleux sur la condition sexuelle des GI’s engagés en Irak, mais de traiter ce genre d’informations, qui ne le sont habituellement jamais. Certes, les amours cachés hétérosexuels (à défaut d’être paritaires, les unités US engagées en Irak sont bien mixtes) ou homosexuels de la seconde guerre du Golfe, ne donneraient pas lieu à des sujets hauts en couleurs comme les reportages dans les rues chaudes de Cholon à Saïgon en 1970. Quant aux massacres à symboliques sexuelles et ethniques (voulues et organisées) dans certaines régions d’Afrique, ils sont noyés dans l’horreur de l’information. Il en est ainsi des viols des mères auxquelles les tortionnaires coupent ensuite le bout des seins afin qu’elles ne puissent plus allaiter leurs bébés. Le politiquement correct a banni ce type de photos des newsmagazines, y compris ceux qui mettaient en "Une" un cliché d’un petit biafrais affamé aux yeux exorbités et au ventre difforme.

Ce n’est pas le moindre des mérites de cette exposition et du livre que de montrer et de narrer sans aucun voyeurisme à quel point la guerre, vécue à la première personne, civile ou militaire, est à la fois terriblement sale et compliquée. Parmi les femmes tondues, il n’est pas difficile d’imaginer que certaines éprouvèrent une passion authentique, au même titre que d’autres tombèrent réellement amoureuse d’un GI sans pour autant se "vendre" pour une tablette de chocolat ou une paire de bas.

Puisque la presse d’actualité qui suit les conflits contemporains ne veut ou ne peut faire son travail, puisque le cinéma continue à produire d’un côté des remakes de Tant qu’il y aura des Hommes et de l’autre L’Ennemi intime  - la qualité cinématographique n’est pas ici en cause -, puisque l’historien est parfois impuissant à exprimer les dommages collatéraux de la bête humaine – c’est plus aisé pour un romancier –, il faut courir voir cette exposition et acheter cette récente livraison de la rue Sébastien Bottin. Elle touche à l’histoire, mais parce qu’il s’agit de celle du temps présent ou presque   , elle concerne également l’actualité.

L’ouvrage donne ainsi des  clefs pour comprendre les actuelles relations diplomatiques entre les deux Etats coréens et le Japon. La vague d’émotions soulevée par le Premier Ministre japonais en mars 2007, Shinzo Abe, qui a affirmé qu'il n'y avait eu aucune prostitution imposée à 200.000 femmes par les forces armées japonaises, a atteint les rizières le plus éloignées. En japonais, cela s’appelait des "femmes de réconfort "…

Amours, guerres et sexualité comble ainsi un vide à propos d’un sujet que n’abordent jamais nos journaux quotidiens et remet en cause la naïveté de notre vision de plus en plus aseptisée de la guerre. Elle n’est pas propre, mais elle est parfois la cause et le décor d’histoires d’amours improbables. Pourtant, à la fin de l’ouvrage, on a l’impression de voir écrit, en lettres de sang, "Pourquoi tant de haine ?"




L’exposition Amours, guerres et sexualité 1914-1945, se tient à l’Hôtel national des Invalides, du 22 septembre au 31 décembre 2007
Tous les jours de 10h-17h.
Fermée le premier lundi de chaque mois, les 1er novembre et 25 décembre.