Le 17 avril dernier, un communiqué du ministère de la Culture et de la Communication annonçait la réorganisation de celui-ci, dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). À l’heure actuelle, la politique culturelle française laisse amplement à désirer : télévision publique menacée dans ses sources de financement, nécessité de revoir les lois relatives à la production du cinéma   , régime des intermittents du spectacle toujours aussi précaire et attaqué, échecs successifs pour une législation satisfaisante au sujet des données culturelles sur Internet   … Cette réorganisation du ministère va-t-elle permettre de mieux répondre aux défis actuels de la politique culturelle française ?


Le nouveau ministère

Cette restructuration, dont on ne connaît pour le moment que les grandes lignes, consiste essentiellement en une concentration accrue des services administratifs. Jusqu’ici, le ministère regroupait sept directions centrales, deux délégations générales ainsi que le Centre national du cinéma (CNC). À présent il ne sera plus que composé de trois directions générales (patrimoines, création et diffusion, médias et économie culturelle) et d’un secrétariat général, chargé de toutes les missions à caractère transversal et de la gestion budgétaire   . L’organisation régionale héritée de l’effort de décentralisation des années 1970 (Directions régionales des affaires culturelles - DRAC) reste inchangée à ce jour. Voir sur le site du ministère le détail de ce nouvel organigramme et la charge de chacune de ces directions.

Cette restructuration colle au mieux aux programmes fixés par la mission Culture, dans le cadre de la Loi organique relative aux lois de finance (LOLF). En effet, trois programmes majeurs, spécifiques à ce ministère, ont été définis : les patrimoines, la création, la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture. L’adéquation est donc parfaite entre les dénominations des trois nouvelles directions centrales et les objectifs fixés. Ainsi peut-on penser qu’il n’y a rien là que de légitime, voire judicieux. Mais on peut aussi se demander si ce n'est pas justement là le signe d'une refonte  précipitée, purement formelle. Qu’en est-il sur le fond ?


Une flagrante absence de perspective

Selon un directeur régional des affaires culturelles interrogé par mail, sur les fondements politiques de cette restructuration "le flou et les contradictions dominent". Ce qui frappe surtout de l’intérieur, c’est le manque de concertation et de perspective, ainsi que la rapidité avec laquelle tout ceci a été décidé puis annoncé. Domine l’impression qu’il y a un calendrier à tenir, qu’il faut boucler une refonte du ministère en un temps record, et que dans cette précipitation les critères économiques ont été plus entendus que les nécessités propres à la politique culturelle française. Certes les Entretiens de Valois ont eu un certain retentissement, mettant autour de la table les acteurs du spectacle vivant, professionnels, collectivités locales et représentants de l’État, afin de développer une politique nationale pour ce champ culturel. Mais outre le caractère circonscrit de ces entretiens, ils ont surtout permis, selon ce même directeur des affaires culturelles, de colmater des brèches, de temporiser en satisfaisant les corporations les plus expressives, et à Christine Albanel de se montrer proche des artistes pour asseoir sa légitimité. Là encore, une perspective et une vision globale de la politique culturelle font défaut.

Et pourtant, en matière de politique culturelle, c’est effectivement d’une vision que la France aurait besoin, d’un cap, incarné par un ministère fort. Si cette refonte des institutions n’est peut-être pas mauvaise (il est encore trop tôt pour le savoir), elle renvoie, selon Emmanuel Wallon, professeur de sociologie politique à l’université Paris-X interrogé par téléphone, l’administration à des problèmes d'organisation interne, au lieu de lui permettre de réfléchir aux actions à mener en direction du public et à son rôle stratégique dans un paysage culturel complexe. Les services du ministère ne savent plus comment travailler, le climat n’est pas assez stable pour pouvoir se concentrer sur des problématiques plus profondes, plus essentielles : mieux gérer le réseau décentralisé, assumer correctement un rôle de tutelle sur les établissements publics (théâtre, opéra, musées)... Pour lui, cette restructuration manque d’esprit de continuité, et ne s’appuie pas assez sur des bilans. Par exemple le rapport Rigaud de 1997 pour une refondation de la politique culturelle, qui avait conduit à la formation de la DAPA   et de la DMDTS   , avait déjà mis l’accent sur le cloisonnement des disciplines, le manque de transversalité. Mais trop de transversalité induit un manque de lisibilité, et cette nouvelle organisation s’est bientôt trouvée remise en cause. Qu'en sera-t-il de celle-ci ?


Un ministère renforcé dans ses missions, mais pour quoi faire ?

Il y a pourtant quelque chose ici de fondamental, dont on ne peut que se réjouir : le ministère de la Culture et de la communication existe encore. Il n’y a pas si longtemps en effet que courrait la rumeur d’un rapprochement avec le ministère de l’Éducation nationale, avec le risque de le voir disparaître, purement et simplement. Mieux : le réseau décentralisé des DRAC n’est pas entamé   , alors que, comme le souligne Christine Albanel dans son discours du 17 avril   , "le nombre de structures des services de l’État en régions passe de 35 à 8"   . On peut également se féliciter, dans ce nouvel organigramme, d’une forte prise d’autorité du ministère sur les questions liées au numérique et à l’utilisation des nouveaux médias, notamment par l’intégration officielle de la Direction du développement des médias, jusqu’ici sous la tutelle du Premier ministre, qui sera englobée dans la nouvelle Direction générale du développement des médias et de l’économie culturelle.

Mais les véritables soucis du ministère de la Culture et de la Communication ne sont peut-être pas internes, et cette nouvelle organisation voulue par la RGPP n’y changera rien. Comment la ministre de la Culture et ses services pourraient-ils développer une politique culturelle ambitieuse et originale quand le président de la République tient à s’exprimer lui-même et de façon intempestive sur des dossiers qui relèvent de leur compétence directe ? On pense au financement de l’audiovisuel public, on pense au combat qu’il livre contre les nouvelles pratiques culturelles liées à Internet   , avec tous les soupçons que ne manquent pas de créer en la matière ses rapports intimes avec de grands groupes de communication. Autre limite de taille : le ministère est devenu au fil des ans plus gros, plus lourd à gérer, avec des missions toujours plus variées et transversales, des besoins plus exigeants. Force est de constater que les moyens financiers ne lui sont pas donnés pour les mener à bien, au point que, comme l'avoue Christine Albanel, "nous sommes à la recherche de ressources extrabudgétaires pour pouvoir vraiment faire face aux besoins qui ont été listés par tous les experts et par le Parlement"   .

Sans une politique culturelle visionnaire et affirmée, portant avec elle la cohérence entre discours, moyens et méthode, réconciliant dans un même mouvement de concertation les différentes strates de l’État, il n’y a pas grand-chose à attendre de cette restructuration. Si elle n’apporte peut-être rien de mal et conforte les structures existantes dans leur rôle, elle évite et ne fait que retarder une confrontation nécessaire au principaux défis de la politique culturelle française.


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