Le retour de l’inflation impliquera une plus forte sélectivité des politiques, mais aussi de porter une plus grande attention au maintien du pouvoir d’achat des salariés les plus modestes.

D’une économie d’abondance, où tout existait à profusion, l’énergie, les matières premières, l’offre de travail ou encore le capital, nous serions passés à une économie de rareté, où tout serait devenu rare et cher. C’est en tout cas la thèse que soutiennent Patrick Artus et Olivier Pastré dans leur nouveau livre, avant de s’essayer à en tirer les conséquences en matière de politique économique.

Cette transition sera difficile. Il faudra compter, à nouveau, avec l’inflation, expliquent-ils, et aussi avec des politiques monétaires et budgétaires plus restrictives. Malgré cela, il restera nécessaire de trouver les moyens d’investir dans la transition énergétique et de satisfaire d’autres besoins (en matière de santé, d’éducation et de formation), tout en garantissant le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes. En effet, ces derniers subiront de plein fouet, et pour un temps certain, les impacts du renchérissement du prix de l’énergie et des matières premières.

Tout devient rare et cher

La crise sanitaire et la guerre en Ukraine auraient amené (ou peut-être simplement hâté) ce basculement. La première aura induit une forte déformation de la structure de la demande des services vers les biens. Suite aux restrictions sanitaires, les consommateurs ont réduit leur demande de services (voyages, loisirs), mais aussi fortement accru leur demande de biens (matériel informatique, mobilier). Cette déformation a conduit à la forte hausse des prix des biens et services nécessaires à la production de biens industriels (énergie, autres matières premières, transport maritime et aérien, semi-conducteurs). Et cette déformation a persisté après la fin de la crise sanitaire (pour combien de temps ?). La guerre en Ukraine a ensuite amplifié les tensions sur le prix de l’énergie et des matières premières agricoles.

Mais la pandémie a aussi durablement modifié le rapport au travail, incitant de nombreux salariés à sortir du marché du travail (surtout aux Etats-Unis) ou tout au moins à rejeter les emplois pénibles, à horaires atypiques (en Europe et en France en particulier), créant ainsi des difficultés d’embauche dans tous les secteurs d’activité concernés (agriculture, hôtellerie-restauration, industrie).

En revanche, cela ne s’est pas traduit jusqu’ici par une augmentation du pouvoir de négociation des salariés. De fait, l’augmentation des salaires (en Europe et en France notamment) est restée inférieure à l’inflation et a évolué plus faiblement que la productivité. Les marges des entreprises sont aujourd’hui supérieures à ce qu’elles étaient avant la crise sanitaire. Mais les choses pourraient changer sur ce point à l’avenir. A défaut, la revendication du maintien ou de l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés les plus modestes s’exerce autrement, comme on l’a déjà vu.

Confrontées au retour d’une forte inflation, les banques centrales se sont finalement résolues à remonter par paliers les taux d’intérêt, ce qui pèsera sur les investissements publics et privés. La production de crédit par les banques a du reste déjà fortement ralenti. Les politiques budgétaires ont elles aussi commencé à devenir plus restrictives, avec la fin programmée des mesures destinées à compenser l’augmentation du prix de l’énergie pour les ménages et les entreprises.

Cette situation devrait perdurer et les prix rester élevés, expliquent les auteurs. Le vieillissement démographique, l’accélération de la transition énergétique, la numérisation rapide de l’économie (pour se limiter à ces tendances car la liste pourrait être allongée) conjugueront leurs effets pour faire de ce basculement quelque chose de durable.

Plus sélective, la politique économique devra être aussi plus inclusive

Dans ces conditions, les priorités en matière de politique économique devraient consister, cela valant pour la France en particulier, à rétablir un partage équitable des revenus et des patrimoines après la déformation défavorable aux salariés modestes ; à stabiliser le prix de l’immobilier après sa forte hausse due aux taux d’intérêt bas et aux aides publiques aux ménages (sic) ; à réduire les inégalités dues à la hausse des prix de l’énergie, à court terme avec la guerre en Ukraine et à long terme avec la transition énergétique ; à définir des priorités dans les dépenses publiques, ainsi qu’à définir des hausses d’impôts pour financer celles qui seront nécessaires ; enfin, à accroître le taux d’emploi.

Depuis la rédaction du livre, l’augmentation des taux d’intérêt s’est traduite par une forte baisse de la demande de logements (et un début d’ajustement des prix), qui fait craindre aux professionnels du secteur une crise sévère. Combattre la rareté supposerait d’augmenter la production de logements, ce qu'on n'a pas réussi à faire jusqu'ici. A court terme, les prix vont certes baisser, mais sans doute pas autant que la capacité d'emprunt.

Le taux d’emploi (la proportion de la population des 15-64 ans qui a un emploi) est particulièrement faible en France par rapport aux pays d’Europe du Nord (les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, le Danemark). La raison en serait, selon les auteurs, qui se basent ici sur des corrélations, la faiblesse des compétences de la population active, la médiocrité du niveau en mathématiques et en sciences des jeunes et le poids des impôts sur les entreprises (sic), tous éléments, au moins pour les deux premiers, qu’il n’est pas simple d’améliorer rapidement, comme ils en conviennent immédiatement. Les débats sur les retraites ont mis en avant d’autres raisons susceptibles d’expliquer un tel écart, comme des conditions de travail dégradées, un management toxique ou tout simplement une volonté des entreprises de se débarrasser de leurs salariés âgés.

Sur ce sujet comme sur d’autres, sur lesquels ses auteurs passent trop rapidement, le livre est quelque peu décevant. Leurs recommandations ne sont pas toujours alignées entre les différents chapitres. Certains passages sont tout à fait obscurs, comme par exemple lorsqu’ils évoquent les conditions qui empêcheraient qu’une hausse du salaire minimum ait un effet négatif sur l’emploi.

Reste sa thèse principale d’une inflation durable et, en particulier, des mesures à mettre en œuvre pour protéger le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes et réduire les inégalités que cette situation ne devrait faire qu’exacerber. Les moyens suggérés au fil du livre, parfois juste en quelques lignes, comme instaurer un revenu universel pour les jeunes, augmenter les bas salaires (mais pas le salaire minimum), augmenter le taux d’emploi en mettant l’accent sur la formation pour élever les compétences, mettre en place des transferts ciblés sur les salariés les plus modestes pour compenser les hausses de prix, accroître la participation des salariés au capital, etc., finissent par donner un peu le tournis.