Pour le centenaire d’Yves Bonnefoy, ses œuvres sont rassemblées dans une très belle édition à laquelle il avait travaillé avant sa mort en 2016.

« Yves Bonnefoy souhaitait avoir tout mis en ordre avant de quitter la vie », soulignent ses éditeurs dans l’avant-propos de cette Pléiade à laquelle le poète, traducteur et critique d’art, longtemps professeur au Collège de France, a pleinement participé, en travaillant avec ses amis : Odile Bombarde, Patrick Labarthe, Daniel Lançon, Patrick Née et Jérôme Thélot. Il avait lui-même choisi le titre du volume, après la publication en traduction italienne de l’Opera completa chez Mondadori en 2010. Il désirait que figurent également dans cette Pléiade des textes qui semblent relever davantage de l’essai, sans doute pour inviter ses éditeurs, puis ses lecteurs, à réfléchir à ce que poétique signifiait à ses yeux.

Une organisation chronologique qui ne renie rien

Respectant la chronologie de l’œuvre, de 1945 à 2016, le volume s’ouvre sur les premiers poèmes, d’inspiration surréaliste, comme Le Cœur-espace,et se clôt par L’Écharpe rouge, un récit d’auto-anayse achevé en mars 2016, quelques mois avant la disparition du poète le 1er juillet 2016. Le lecteur y trouvera donc tous ses recueils, y compris ses Récits en rêve et ses réflexions sur l’art poétique, et quelques traductions de poètes : Shakespeare, Keats, Yeats, Pétrarque, Leopardi, Celan, Emily Dickinson. L’avant-propos et la belle introduction d’Alain Madeleine-Perdrillat éclairent avec sensibilité et intelligence l’élaboration de cette œuvre, chez cet homme qui prit « terriblement au sérieux » une dédicace de sa tante sur une anthologie de poèmes pour la jeunesse offert pour ses huit ans : « À mon cher filleul, futur poète. »

Un poète de la présence

Dans un discours prononcé au Collège de France en 1998, ce poète à l’œuvre exigeante expliquait que la présence « est l’enjeu de la poésie : ce qui, à être gagné ou perdu, institue ou défait notre rapport à nous-même. » Cette quête de la présence, entravée par le concept, et que permet la poésie par la vitalité du sensible, l’accompagne jusque dans ses derniers recueils, comme L’Heure présente en 2011 :

« Heure présente, ne renonce pas,
Reprends tes mots des mains errantes de la foudre,
Écoute-les faire du rien parole,
Risque-toi
Dans même la confiance que rien ne prouve,
Lègue-nous de ne pas mourir désespérés
. »

On y trouve également ce passage magnifique sur la matière même de la poésie :

« Et des mots, tout cela, des mots car, en vérité, mes proches, qu’avons-nous d’autre ? Des mots qui se recourbent sous notre plume, comme des insectes qu’on tue en masse, des mots avec de grandes échardes, qui nous écorchent, des mots qui prennent feu, brusquement, et il faut écraser ce feu avec nos mains nues, ce n’est pas facile. »

Le dernier recueil, au titre programmatique, Ensemble encore (2016), contient une dimension testamentaire très émouvante :

« Mes proches, je vous lègue
La certitude inquiète dont j’ai vécu,
Cette eau sombre trouée des reflets d’un or.
Car, oui, tout ne fut pas un rêve, n’est-ce pas ?
Mon amie, nous unîmes bien nos mains confiantes,
Nous avons bien dormi de vrais sommeils,
Et le soir, ç’avait bien été ces deux nuées
Qui s’étreignaient, en paix, dans le ciel clair.
Le ciel est beau, le soir, c’est à cause de nous
. »

Cette édition très riche est donc une excellente nouvelle pour les lecteurs d’Yves Bonnefoy, qui ont désormais l’occasion d’entrer dans son atelier. Ses manuscrits ont pu être consultés par ses éditeurs et sont parfois utilisés En marge des œuvres, où se trouvent quelques textes et fragments inédits.