Une série d'entretiens entre Jacques Toubon et Maryvonne de Saint-Pulgent reviennent sur le parcours et les engagements de celui qui a été ministre de la Culture de 1993 à 1995.

En 1993, le ministère de la Culture crée un Comité d’histoire, sur l’initiative d’Augustin Girard. Son objectif est de permettre à cette institution d’effectuer un retour réflexif sur ses actions et de les inscrire dans une certaine temporalité. Il permet de mieux comprendre les engagements de cette administration républicaine. Le comité est composé de trente-cinq membres nommés par le ministre en place, parmi lesquels des historiens, des chercheurs et des administrateurs des institutions qui se trouvent sous sa tutelle.

Ce comité publie régulièrement des ouvrages consacrés aux ministres successifs de la Culture — parmi eux, Jack Lang, Jean-Philippe Lecat ou encore Catherine Tasca. Le livre dont il s’agit ici est l’un d’eux, consacré à Jacques Toubon, ministre de la Culture et de la Francophonie de 1993 à 1995.

Une carrière

Composé d’entretiens avec celle qui a été sa collaboratrice durant ces années, Maryvonne de Saint-Pulgent, l’ouvrage parcourt les actions menées par le ministre au cours de son mandat : le patrimoine, les musées (et notamment les Grands travaux menés sous la présidence de François Mitterrand), l’éducation artistique, les industries culturelles, le numérique dans la culture, etc., sont ainsi abordés. Et Jacques Toubon n’hésite pas à revenir sur son expérience personnelle et à décrire les bonheurs et les malheurs de la fonction ministérielle.

Mais au-delà de la perspective biographique, ces échanges permettent d'enrichir les archives du ministère. Aux éléments factuels, ils ajoutent en effet une parole vive qui commente en première personne les politiques publiques de la culture qui ont été portées par l'institution.

Le premier entretien porte sur la formation culturelle de Jacques Toubon et sur sa carrière politique. Il permet de saisir l’atmosphère d’une époque, les stratégies de carrière des personnels politiques, les avatars de ces carrières et les influences qui ont pesé sur les destinées de chaque ministre.

La proximité des deux interlocuteurs (Maryvonne de Saint-Pulgent ayant été la directrice du patrimoine de Jacques Toubon) confère parfois aux échanges une tonalité empatique. Mais cela est aussi l'occasion de mettre en évidence le fait que la carrière des collaborateurs, elles aussi, n'échappent pas aux sinuosités des trajectoires politiques. Un directeur de secteur culturel, comme un ministre, est toujours pris dans des mouvements, des décisions qui dépassent son individualité : arbitraire des présidents, boulversements politiques, changements d’orientation brutaux, influences contraires, conflits avec d’autres ministres, etc. À ce titre, l’ouvrage apporte une contribution importante à l’analyse des trajectoires des personnels politiques.

Des actions

L’ouvrage permet également de ressaisir l’unité politique et la cohérence des actions qui ont été menées sous le mandat de Jacques Toubon. Celles-ci s’inscrivent en rupture avec le programme incarné par Jack Lang et plutôt dans le prolongement de la doctrine culturelle initiée par André Malraux, qui considère la culture comme un levier d’élévation personnelle et sociale, par lequel les individus deviennent des citoyens, et qui constitue de ce fait un véritable bien commun. En ce sens, l’ouvrage rend attentif aux différentes lignes qui ont été poursuivies en matière de politiques culturelles et qui, de André Malraux à nos jours, ont façonné la conception institutionnelle de la « culture » et ont défini le rôle joué par l’État dans sa mise en œuvre.

Mais les entretiens font aussi apparaître les distorsions qui ont pu avoir lieu entre les volontés explicites du ministre et leur réalisation : qu'elles soient contredites par une décision supérieure, différées ou abandonnées par un successeur, réorientées par les aléas des événements (par exemple, celles qui se sont imposées au moment de la découverte de la Grotte Chauvet).

D'autres décisions ont eu davantage de succès et ont marqué le paysage culturel d’État en France. Ainsi du transfert de collections (au musée du Quai Branly, au Mucem), de certains remaniements administratifs qui ont résolu des conflits de territoire (le château de Versailles, le musée des Monuments français), des Grands travaux (l’opéra de Paris, l’arche de la Défense), ou encore de la structuration des missions éducatives des institutions culturelles (les Frac, dont la création n'est pas le fait de Toubon mais que ce dernier a permis d'ancrer autrement dans les territoires). La volonté de Jacques Toubon de développer de grands projets en région plutôt que de se focaliser sur Paris (l'Auditorium de Dijon, les Abattoirs de Toulouse, le Centre du costume de scène à Moulins, etc.) est enfin à mettre au compte des actions significatives de son passage au ministère de la Culture.

Des prises de position critiques 

Ceci dit, le ministre et sa collaboratrice sont capables d’adopter un regard critique sur leurs engagements passés. Ainsi, Toubon exprime à plusieurs reprises son regret de voir la politique s'engager sur certains terrains sur lesquels il conviendrait d’exercer ses pouvoirs avec davantage de discernement. Il l'évoque notamment au sujet des impératifs qui lui furent imposés dans le cadre de la francophonie, dont il considère désormais qu'elles n'étaient destinées qu'à satisfaire l’opinion sur la déchéance de nationalité ou sur d'autres « joyeusetés xénophobes » — selon sa propre expression.

Celui qui a achevé sa carrière politique à la direction du musée de l’immigration prend des positions claires dans des débats toujours d'actualité (celui de l'universalisme et du particularisme ou encore celui de la construction culturelle de l'histoire de France). En témoignent les documents d’époque et notamment les discours publics prononcés par le ministre à différentes occasions (nomination, installation d’un nouveau Conseil, publication d’une tribune, points de presse, etc.) qui sont publiés dans l'ouvrage aux côtés des entretiens avec Maryvonne de Saint-Pulgent.

En ce sens, l'ouvrage peut intéresser tout autant les politologues et historiens que les citoyennes et citoyens qui s'interrogent sur les politiques culturelles — dont certaines, menées sous le mandat de Jacques Toubon, ont toujours cours aujourd'hui.