Répondant aux questions d’un jeune adolescent sur la Commune, Laure Godineau mêle récit pédagogique et illustrations variées pour faire de la Commune un événement vivant.

S’inscrivant dans le contexte polémique de la commémoration des 150 ans de la Commune, Laure Godineau, maîtresse de conférences spécialiste du XIXe siècle, propose un ouvrage original et accessible sur ces 72 jours qui marquèrent les débuts de la IIIe République. Construit comme une suite de questions-réponses et très richement illustré, il permet une relecture de la Commune, de ses origines à ses mémoires actuelles.

 

Un récit pédagogique pour tous

Le postulat de l’ouvrage est simple : un fils questionne son historienne de mère sur une inscription « Vive la commune de Paris », qu’il a observée près de chez lui. Elle décide alors de répondre à ses questions avec pour objectif de « lui expliquer […], ce qui s’était passé, quand, comment, avec qui et pourquoi ce moment de l’histoire […] avait une résonnance pour nous tous ». 150 ans après, les souvenirs de cet événement resurgissent, en effet, régulièrement dans l’actualité, lors des manifestations notamment. L’idée de Laure Godineau est donc de faire parler ce fils et de partir de ses interrogations et réactions pour dérouler l’histoire de cet épisode, « dernière révolution avant la République », selon un fil narratif allant du contexte des débuts de l’année 1871 jusqu’à la répression et ses impacts. L’intérêt majeur de cet ouvrage réside dans sa mise en page et sa typologie – certaines questions ou parties du récit sont mises en évidence – mais aussi et surtout par la richesse de ses illustrations de natures différentes (tableaux, affiches, photographies ou étonnants photomontages), commentées longuement, qui appuient les explications et parfois les supplantent, occupant des pages ou doubles-pages entières.

Le contexte est détaillé : on comprend alors comment, le 18 mars 1871, une partie de la population parisienne, qui s’oppose à la reprise par le gouvernement des canons de Montmartre, s’insurge et installe des barricades. Une photographie de la barricade de la rue des Amandiers montre cette « arme et symbole de la révolte » qui rappelle les révolutions de 1830 ou 1848, encore très vives dans les mémoires collectives. En cette « année terrible », marquée par la défaite, puis par l’occupation des troupes allemandes, la jeune République se divise sur la marche à suivre et les négociations de paix. Le livre illustre ces prolégomènes par plusieurs tableaux exposant la victoire allemande, qui conduit à la proclamation à Versailles du IIe Reich le 18 janvier 1871, jour de l’armistice. Celui-ci est perçu par une partie de la population comme une humiliation et de nombreux quartiers parisiens organisent alors des comités : la scission entre Paris et Versailles est imagée par une gravure opposant un Thiers en Roi-Soleil face à une Marianne en drapé rouge. Puis, après la prise de l’Hôtel de ville le 18 mars et l’organisation d’élections municipales le 26, la Commune voit officiellement le jour le 28 : « le terme de Commune est choisi dès les premières séances […] ce choix a une signification révolutionnaire » explique Laure Godineau. Ainsi, l’auteure montre, à l’aide de photographies et de tableaux, les causes nombreuses de la Commune et rappelle, en historienne, que toutes jouent un rôle dans le déroulé des événements : « privilégier une cause parmi d’autres, c’est déjà fournir sa propre interprétation ».

Puis, de manière limpide, Laure Godineau explique à son jeune interlocuteur le fonctionnement de la ville pendant ces deux mois intenses et la multiplication de ses institutions : commissions, comité de Salut Public, comité central de la garde nationale, comités locaux dans les arrondissements… « gouverner en Révolution, ce n’est pas si simple ! » commente le garçon. Le récit reprend ensuite, avec diverses photographies (notamment du célèbre Bruno Braquehais) de la chute de la colonne Vendôme, renversée le 16 mai et devenue un des symboles les plus connus de la Commune. On questionne ainsi l’usage des images dans l’interprétation des événements. De même, une double page est consacrée à la mise en évidence de cinq affiches placardées sur les murs de Paris qui annoncent à la population certaines des mesures les plus emblématiques (décret sur les revenus locatifs, séparation de l’Église et de l’État, Déclaration au peuple français du 9 avril). Puis, peu à peu, en déroulant le fil de ces 72 jours, l’auteure narre comment, après l’insurrection et le gouvernement républicain de Paris, l’aventure prit fin au printemps : la guerre contre les Versaillais continue et les gardes nationaux, numériquement inférieurs, sont totalement désorganisés. En face, les troupes versaillaises se sont renforcées et avancent rapidement vers la capitale. La Semaine Sanglante est à son tour racontée et illustrée comme une « guerre civile entre les deux camps et une répression extrêmement violente » : on suit au jour le jour le récit des affrontements. Pour ce faire, l’auteure s’appuie là-encore sur une iconographie très riche : gravures, photographies, une aquarelle de Daniel Vierge et divers tableaux (dont celui d’Edouard Manet) permettent de comprendre ces journées terribles, faites de « pavés noir et rouge, noirs de poudre, rouges de sang » selon l’expression du communard Maxime Vuillaume, reprise dans l’ouvrage. Figurent également des images des incendies des lieux de pouvoir par les communards ou encore les derniers combats au cimetière du Père Lachaise : « cette semaine est terrifiante. Les cadavres jonchent les rues, des insurgés mettent le feu alors que la Commune agonise ». L’aventure prend fin brutalement le 26 mai.

 

La Commune par les « communeux et communeuses »

Une des forces de l’ouvrage est également de faire vivre les acteurs de ces événements. À chaque étape du récit, des portraits de ceux et celles qui les ont vécus se joignent aux scènes du Paris quotidien. Le lecteur est plongé dans le cœur de la ville et y côtoie les protagonistes de ces journées, des premières manifestations jusqu’à la fin tragique, cette « folie de la défaite » selon Jules Vallès. On y lit et on y voit le peuple de Paris, les gardes nationaux, les communards du quotidien, les membres de la Commune – notamment à travers un grossier photomontage. Marquée par les blocus et les restrictions, illustrés par exemple par un tableau d’Andrieu figurant la foule devant la boucherie municipale, la ville est vidée de ceux qui ont pu fuir (les plus aisés) et la guerre accentue les inégalités sociales : une partie des Parisiens « rêve alors de changer le monde ».

En fait, les profils des communards, qui s’appellent eux-mêmes « communeux » sont très divers, comme le montrent bien les très intéressants « types » de Bertall, répartis dans l’ensemble du livre. Sans omettre les grandes figures comme Gustave Courbet (dont il est reproduit la carte de membre de la Commission fédérale des artistes), Jules Vallès ou Louise Michel, sont également évoqués d’autres acteurs moins connus du mouvement, avec parfois des photographies d’époque sur plusieurs double-pages. Ces incarnations montrent toute la diversité du mouvement et les divisions au sein des groupes. Un accent particulier est mis sur les femmes qui ont participé au mouvement : cantinières, pétroleuses, ambulancières mais aussi prenant les armes, elles se retrouvent notamment autour de l’Union des femmes pour la Défense de Paris. Les sources pour décrire ces acteurs et actrices sont très riches : les archives, judiciaires notamment, ont laissé des photographies, des dossiers d’inculpation et des retranscriptions des procès. Il ne faut, en effet, pas oublier qu’à l’issue de la Semaine Sanglante, plus de 43 000 parisiens sont arrêtés, dont 4 500 sont condamnés à la déportation en Nouvelle-Calédonie : là encore, l’auteure nous donne à voir quelques-uns de ces hommes et femmes, à l’image d’Henri Rochefort, rencontré au début du livre comme journaliste fondateur de La Lanterne et de La Marseillaise, et que l’on retrouve finalement parvenant à fuir en bateau la Nouvelle-Calédonie.

In fine, à la question « qui étaient ces communards ? », l’historienne de répondre : « tu peux les voir sur des photographies prises en 1871 : si tu regardes bien, tu observeras des gardes nationaux, qui portent l’uniforme, fusil à la main, se tenant sur les barricades ; des hommes et des femmes du peuple, parfois des enfants, à côté des membres de la Commune, qui posent, unis, debout, devant la colonne Vendôme à terre ».

 

Des mémoires vives et plurielles

Alternant portées sur les temps courts et sur les temps longs, les diverses mémoires de la Commune sont là encore richement décrites et illustrées, l’auteure d’expliquer dès le départ que, « s’il y a un moment historique qui a donné lieu à des querelles d’interprétation et à de multiples réappropriations, c’est bien ce printemps 1871 ». Dès la fin du mouvement, la propagande versaillaise réduit l’événement et fait taire ses acteurs : « la détestation des communards a été permanente au cours de ces mois », ces hommes et femmes étant caricaturés comme des « criminels dangereux, des voleurs, des alcooliques qui voulaient détruire la société et affaiblir davantage la France ».  Là encore, les images sont édifiantes : se font ainsi face un photomontage d’Appert montrant les communards fusillant des otages et une gravure de « l’exécution de fédérés au jardin du Luxembourg ». Au printemps 1871, la République triomphe et cherche à faire oublier cette expérience d’une « vraie » République, démocratique et sociale. À la question « qu’est-ce que c’était, cette « vraie » République ? » la mère de détailler : « l’accomplissement des libertés, le suffrage universel […], l’élection à tous les niveaux […] la République devait être indissociablement démocratique et sociale », et cette image qu’ont cherchée à maintenir les communards dans les mémoires.

Il faut en fait attendre la stabilisation du début des années 1880 pour que les condamnés soient amnistiés et le « retour des absents » est mis en scène lors du 14 juillet 1880. Le conflit mémoriel entre les communards et les versaillais débute dès le lendemain du 26 mai : l’imposant Sacré cœur s’oppose à la sobre plaque au Père Lachaise ou au Temps des Cerises, dont les paroles closent l’ouvrage. L’événement fait apparaître aujourd’hui encore des visions antagonistes : « partisans et adversaires ont continué à s’affronter en proposant des représentations et interprétations totalement opposées ».  On perçoit ici comment, relativement oubliée en France au cours du XXe siècle dans la mémoire collective et l’enseignement, la Commune est « devenue une référence révolutionnaire à la fin du XIXe et encore davantage au XXe siècle et a acquis une dimension mythique, bien au-delà des frontières françaises », en découvrant une affiche chinoise et un timbre russe célébrant l’insurrection, vue comme la première expérience d’une république sociale, dont se réclament les régimes communistes. En fait, loin de disparaître, les idéaux portés par les révolutionnaires parisiens nourrissent encore le débat d’idées sur la République en France. C’est la raison pour laquelle ressurgissent régulièrement la Commune et ses enseignements, comme celui la démocratie participative un « pouvoir populaire, direct, indépendant […] une forme de démocratie directe ».

En somme, la naïveté de l’adolescent fonctionne très bien, car elle permet à l’historienne de déployer, question après question, l’histoire de la Commune de manière claire et très pédagogique. La qualité de la mise en page, les choix, les commentaires et la mise en valeur des illustrations font de cet ouvrage à la fois un « beau livre » mais aussi un livre à la portée de tous. Grâce à Laure Godineau, on est transporté en plein cœur de « année terrible, d’insurrection, de drapeau rouge, de démocratie et d’expérience politique, de république sociale, de Semaine Sanglante […] de ces femmes et de ces hommes, dans Paris, au printemps 1871 ».