Le 7 mai prochain, Dmitri Medvedev va officiellement prendre ses fonctions de président de la Fédération de Russie. L’heure est donc à la permutation des postes alors que Vladimir Poutine s’apprête à occuper celui de premier ministre. Difficile dès lors d’imaginer de réels changements à court terme, alors que V. Poutine paraît indéboulonnable, tant son "nouveau parti", Russie Unie, domine la Douma. La valse des premiers ministres, qu’on avait connue du temps de B. Eltsine, paraît donc très improbable, dès lors que chaque nouveau chef du gouvernement que choisit le président doit être confirmé dans ses fonctions par l’organe législatif. Le duo Medvedev-Poutine risque donc de durer un moment, avec toutes les difficultés de répartition des rôles que cela implique. À l’orée de cette "nouvelle ère", l’opposition au régime tend aussi à se réorganiser et à contester le bilan politique officiel de la décennie poutinienne.

Le dernier numéro de la New York Review of Books (15 mai 2008) a ainsi pris le parti de recenser le livre de Boris Nemtsov et Vladimir Milov récemment paru en Russie malgré les fortes réticences du gouvernement central. Écrit par deux opposants déclarés, Poutine. Le Bilan : un rapport indépendant d’expert   se propose de retracer huit années de présidence de l’héritier de Boris Eltsine. L’ouvrage s’attache à présenter une représentation en complète opposition avec celle véhiculée par les médias officiels. Il s’agit de remettre en cause une croissance économique fondée en premier lieu sur la manne des hydrocarbures et à stigmatiser le manque de réformes à long terme. Plus généralement, le duo d’auteurs s’attache à examiner les rapports incestueux, établis aujourd’hui en Russie au rythme des nationalisations, entre le monde de l’énergie et celui de la politique. Évidemment, il faut également mentionner avec quelque distance, ce que ne fait pas assez à notre sens Amy Knight dans son article, le parcours particulier des deux auteurs. Boris Nemtsov, ancien député et surtout ancien du gouvernement eltsinien (1997-1998), est l’un des fondateurs du parti libéral d’opposition SPS au parcours quelque peu trouble et regroupant certains de ceux qui ont été complètement discrédités par les crises économiques et politiques de la fin des années 1990. De ceux-là, plus d’un est rentré dans le rang et s’est depuis accommodé du nouveau modèle de gouvernement. Nemtsov s’est récemment distancié de son parti, mais lui aussi est largement perçu par l’opinion comme étant de ceux qui ont pratiquement mené la Russie à sa ruine. Son co-auteur, Vladimir Milov, a fait un court passage au Ministère de l’énergie sous V. Poutine (mai – octobre 2002) avant de partir pour divergence d’opinions et de fonder l'Institut de politique énergétique, sorte de think tank indépendant à Moscou. Il est aujourd’hui annoncé comme nouvel entrant en politique et potentiel leader d’une opposition libérale réunifiée.

La situation apparaît aujourd’hui figée au sein de la Fédération. Comme le signale parfaitement l’ouvrage, la popularité personnelle de V. Poutine, bâtie sur une sorte de contrat à l’amiable passé avec la majorité de la population, lui permet toutes les fantaisies politiques à condition que le niveau de vie moyen de la majorité continue à augmenter, même lentement. Plus encore, c’est aussi le spectre de la décennie précédente qui permet au pouvoir actuel de maintenir le régime. L’anniversaire de la mort de Boris Eltsine a été une nouvelle occasion pour Vladimir Poutine de la rappeler dans un discours de commémoration   .



*"The truth about Putin and Medvedev", KNIGHT Amy, in The New York Review of Books, 15 mai 2008. 
*NEMTSOV, Boris, MILOV, Vladimir, Putin, itogi : Nezavisimyi ekspertnyi doklad (Putin : the results : an independent expert report), Moscou, Novaya Gazeta, 76p.

- Voir aussi la brève "Échec au roi", sur LeMonde.fr.


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