A travers le parcours de Mgr Benigni, Nina Valbousquet analyse les stéréotypes et la propagande antisémites d’une partie des milieux catholiques.

Dans cette étude reposant notamment sur le dépouillement d’un nombre important d’archives issues du Vatican, puis des États italien et français, l’historienne Nina Valbousquet brosse un portrait et un tableau passionnants de l’antisémitisme catholique, incarné par un homme qui tente de lui donner une résonnance mondiale. Cette thèse restitue l’itinéraire et les réseaux d’Umberto Benigni, ecclésiastique aux multiples facettes, dont l’antisémitisme apparaît comme un aspect structurant.

 

Du séminariste à l’antisémite

Benigni est né en 1862 à Pérouse. Brillant séminariste, il se voit vite confier des responsabilités d’enseignement et des tâches de rédaction dans la presse catholique.  Parallèlement à sa carrière ecclésiale, il siège à la Curie romaine avant d’être nommé au secrétariat du Vatican en 1906. Il continue de se constituer un réseau, en occupant différents postes dans l’administration vaticane d’une part et en travaillant pour la presse catholique conservatrice d’autre part.

Fort de ses relations, il construit un réseau mêlant influence et espionnage auprès des milieux catholiques traditionnalistes dont l’exemple le plus connu et emblématique est celui de la France avec le service d’espionnage de La Sapinière, fondé pour lutter contre l’influence du courant moderniste dans l’Église.

C’est au lendemain de la Première Guerre mondiale que l’antisémitisme prend une place majeure dans l’action de Benigni. Écarté des responsabilités les plus importantes dans la Curie romaine, il continue néanmoins à jouer un rôle par les réseaux qu’il a réussi à constituer avant-guerre en s’appuyant sur l’antijudaïsme et l’antisémitisme présents dans certains milieux catholiques.

 

Un chantre de l’antisémitisme en Europe occidentale

En effet, certains hommes d’Église, voire une partie de l’institution catholique, ont longtemps entretenu et cultivé l’antijudaïsme que l’Église avait elle-même créé à travers notamment l’accusation de Juif « déicide » et « usurier ». Les Protocoles accompagnent la transformation de l’antisémitisme du XIXe siècle reposant sur les stéréotypes financiers et religieux à celui du XXe siècle, qui racialisent les Juifs et leurs leaders associant la volonté de domination du monde. La rédaction des Protocoles des sages de Sion, un faux grossier transformant le livre hostile à Napoléon III de Maurice Joly, Dialogues aux enfers entre Machiavel et Montesquieu par la police secrète tsariste en 1902, accentue encore ce type de discours.

Les Protocoles sont repris et diffusés par des hommes d’Église au cours du XXe siècle. Benigni est de ceux-là comme le montre son enseignement et ses livres écrits entre 1906 et 1915, il véhicule tous les stéréotypes (avarice, crime rituel). À partir de 1921, il devient l’un des principaux diffuseurs de leur traduction, s’appuyant notamment sur ses contacts déjà anciens comme Ernest Jouin et la Revue internationale des sociétés secrètes qui bénéficie alors des relais de La Croix et de l’Action Française. Au lendemain de la guerre, il devient l’un des principaux diffuseurs des Protocoles, ce qui lui permet de fédérer autour de lui une partie du catholicisme pour créer, puis fédérer une internationale antisémite. La droite catholique traditionnaliste a à travers la diffusion de la littérature antisémite amplement participé à la diffusion du thème du complot à travers le monde. Cette internationale antisémite traduit dans de nombreux pays dont l’Italie et le diffuse comme en Allemagne.

 

L’homme de réseaux

Par la suite, Umberto Benigni utilise ses connections pour créer un groupe de pression antisémite : l’entente romaine de défense sociale, laquelle reprend les contacts de la Sapinière doublés par le regroupement informel des antisémites européens. Benigni n’arrive pas à influencer directement le Vatican et se tourne vers Mussolini qui l’utilise dans les services de renseignements italiens. Mais surtout, Benigni et ses contacts tentent de fédérer les antisémites dans le monde selon un argumentaire qui repose sur l’association de l’antibolchevisme et de l’anticapitalisme (« ni Komintern, ni Wall Street ») un des éléments centraux de la propagande d’extrême droite de l’entre-deux-guerres jusqu’à la fin du communisme. En 1925, Benigni réunit par exemple une conférence pour fédérer ces groupes. Mais la concurrence est rude à l’extrême droite. Certains, comme l’entente internationale anticommuniste, refusent la dimension antisémite.

Finalement, l’antisémitisme érigé en système, ne rencontre qu’un écho très mitigé dans l’Église et plus largement dans le monde chrétien, ce qui n’empêche pas la diffusion d’autres formes d’antisémitisme, « l’enseignement du mépris », selon la formule de Jules Isaac, demeure très présent. La défiance de l’Église vis-à-vis de Benigni entraine sa marginalisation. Enfin, le paganisme d’une partie des nouvelles formes d’antisémitisme génère un conflit avec les antisémites traditionnalistes. La mort du prélat en 1934 clôt finalement une époque à la charnière entre plusieurs formes de haine des Juifs.

Par cette biographie, Nina Valbousquet offre une contribution importante à la connaissance de l’histoire de l’antisémitisme. Elle montre parfaitement que Bengini a théorisé un modèle d’antisémitisme d’inspiration chrétienne et permis son développement dans les différentes branches nationales de l’Église tout en favorisant dans le monde catholique la diffusion d’autres discours antisémites.