Une édition très savante des lettres de Marie-Antoinette à l’ambassadeur d’Autriche Mercy-Argenteau éclaire ce personnage historique controversé.

On connaît les travaux de Catriona Seth, spécialiste des Lumières et titulaire de la chaire Maréchal Foch à l’université d’Oxford, sur Marie-Antoinette, à qui elle a consacré une anthologie et un dictionnaire dans la collection « Bouquins » chez Robert Laffont en 2006. Elle a effectué des recherches dans les Archives impériales autrichiennes (Haus-, Hof- und Staatsarchiv) à Vienne pour publier ces lettres, dont la moitié au moins ne figure pas dans la correspondance publiée en 2005 par l’historienne Évelyne Lever, pourtant présentée comme complète. Une « affirmation audacieuse », car « si l’ouvrage comprend bien la réunion la plus importante de courriers de la Dauphine et reine, il omet un certain nombre de documents déjà livrés au public, ainsi que d’autres, présents dans des fonds d’archives, dont l’authenticité ne peut être mise en doute. »

 

Une présentation érudite de documents rendus à leur palpitation vivante

Dans un texte intitulé « Marie-Antoinette, femme politique », l’éditrice de ces lettres rend justice à « l’être réel » et à son « rôle politique » et veut aller « au-delà de cette figure protéiforme portée – et sans cesse réinventée – par un imaginaire d’une grande richesse ». Ces lettres nous donnent en effet à entendre « une voix si souvent déformée par ses contemporains et par les commentateurs qui ont suivi, la voix d’une femme qui, de son vivant et bien au-delà, suscita passions et prises de positions extrêmes, de la dénonciation scabreuse aux loyautés inconditionnelles. »

Ce recueil épistolaire connaîtra sans doute un beau succès auprès de tous ceux qui se passionnent pour cette figure de l’Histoire, et juste après l’exposition qui lui a été consacrée à la Conciergerie jusqu’au 26 janvier 2020, « Marie-Antoinette, métamorphose d’une image ». Ce sera un document à ajouter à leur collection et qui leur donnera des détails très précis et très précieux : taille des enveloppes (« leurs dimensions varient mais peuvent être d’environ 81 x 53 mm »), changement d’encre qui marque une interruption dans la lettre, système de cryptage des lettres pendant la période révolutionnaire : « le plus corsé des chiffres auxquels ont recours la reine et ses proches fonctionne par substitution polyalphabétique, parfois en sautant une lettre sur deux. Il requiert de l’auteur et du destinataire la consultation de la même édition d’un livre – des œuvres de Montesquieu comme de Bernardin de Saint-Pierre auraient servi à cette fin et les posséder ne pouvait constituer en soi un motif de suspicion. Un simple numéro de page renvoie au premier mot de celle-ci qui fournit ainsi une clef à usage unique. »

 

Trop autrichienne pour les Français, trop française pour les Autrichiens

Il s’agit de lettres envoyées entre 1771 et 1792 par la Dauphine puis la reine au comte de Mercy-Argenteau, diplomate autrichien qui aurait voulu lui faire épouser les intérêts de son pays d’origine, alors que son rôle était de servir ceux du roi de France. Le bandeau du livre est de ce point de vue très romanesque et alléchant. On y voit, écrite de la main même de la reine, en fac-similé, cette recommandation : « Gardez-moi le secret, car le roi lui-même, ne sait pas encore… » Il s’agit de la fin d’une lettre de janvier 1782 où elle avertit l’ambassadeur de « la maladie de Monsieur d’Usson », que le roi ignore encore, et de son soutien au comte d’Esterno, qui deviendra ministre à Berlin, conformément au souhait de Joseph II. On ne comprend les enjeux de cette lettre qu’en lisant toute la note explicative qui la précède, et qui pousse l’érudition jusqu’à apprendre au lecteur que ce ministre mourra à Berlin des suites d’une morsure à la main droite d’un petit écureuil familier…

Pendant la Révolution, Marie-Antoinette compte en vain sur l’Autriche pour sauver la monarchie française et se montre à la hauteur de son destin, comme le montre cette affirmation dans une lettre de l’été 1791 : « C’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on est. Mon sang coule dans les veines de mon fils, et j’espère qu’un jour il se montrera digne petit-fils de Marie-Thérèse. » Dès le 7 octobre 1789, après le départ pour Paris de la famille royale escortée par la foule venue réclamer du pain, Marie-Antoinette réagit avec intelligence et spontanéité alors que Louis XVI paraît frappé de stupeur, lors de leur passage à l’hôtel de ville : « le peuple, ce matin, nous demandait de rester. Je leur ai dit de la part du roi, qui était à côté de moi, qu’il dépendait d’eux que nous restions, que nous ne demandions pas mieux, que toute haine devait cesser, que le moindre sang répandu nous ferait fuir avec horreur. »

Ce n’est pas sans émotion que le lecteur découvre les signatures de « Marie-Antoinette » et « Louis », très rares dans toutes ces lettres, au bas d’un billet rédigé le 20 juin 1791, au moment où ils s’apprêtent à quitter Paris (ils seront, on le sait, arrêtés à Varennes) : « Nous prions Monsieur de Mercy de remettre au comte de Fersen tout l’argent qu’il a à nous, à peu près 15 cent mille livres, et nous prions le comte de Fersen de l’accepter comme un témoignage de plus, bien doux à notre reconnaissance, et un dédommagement de tout ce qu’il perd. »

 

Il faut donc saluer le travail remarquable mis en œuvre dans cette édition au service de la vérité historique et de la nuance, loin des figures grossières et grossies de la légende ou des jugements à l’emporte-pièce. Poussée à ce point de précision et de finesse d’analyse, cette érudition emportera l’adhésion de tous les passionnés.