L'impact de la guerre sur les industries dans le département du Nord puis ses conséquences économiques et sociales en « sortie de guerre ».

Victimes et profiteurs de guerre ? Les patrons du Nord (1914-1923) présente une situation souvent mal connue : celle de l'industrie dans les régions françaises occupées par les Allemands entre 1914 et 1918. En effet, aux yeux du grand public, l'occupation de 10 départements du nord et de l'est de la France pendant toute la Première Guerre mondiale est aujourd'hui largement oubliée, la mémoire de l'occupation pendant le second conflit mondial ayant largement contribué à cela. Beaucoup ignorent donc que plus de deux millions de civils ont vécu pendant près de cinquante mois au contact de l'ennemi.

Parmi tous ces gens, il y a des industriels qui ont décidé de ne pas abandonner leur usine face à l'avancée ennemie et qui se retrouvèrent ainsi à faire face aux difficultés économiques, mais aussi sociales nées de la présence germanique. Réquisitions, pillages ou destructions sont le lot des départements occupés. L'industrie mettra d'ailleurs de nombreuses années à se relever : dans les Ardennes, seul département entièrement occupé, il faut attendre 1929 pour retrouver une production industrielle équivalente à celle de 1913. C'est dire la puissance du traumatisme économique, mais aussi social, auquel doivent faire face tous les patrons des départements occupés.

L'ouvrage de Jean-Luc Mastin présente bien les problématiques essentielles sur un sujet, également étayées pour les occupations en Belgique lors du colloque de Charleroi en Octobre 2017   . Victimes et profiteurs de guerre ? Les patrons du Nord (1914-1923) apporte donc un nouveau regard, décentré du front, sur la Grande Guerre. Dans la lignée de la production de l'historiographie actuelle, il met en avant une histoire avant tout sociale du conflit.  

 

L'industrie face à l'occupation allemande dans le Nord

Le Nord, partiellement occupé entre le 13 octobre 1914 et le 17 octobre 1918, est le département qui subit de plein fouet la présence ennemie, à cause de l'importance de son maillage industriel, dans la métropole lilloise et ses alentours (Roubaix et Tourcoing) notamment. Pendant quatre années, la plupart des usines sont soit réquisitionnées pour produire pour les troupes allemandes, soit vidées de leurs machines (envoyées dans le Reich ou détruites) et leurs bâtiments transformés en hôpital de guerre ou lieu de stockage pour les armées germaniques. Les Allemands mettent en place un système très coercitif pour inciter les industriels restés sur place à produire pour eux. Dans tous les cas, comme le montre très bien Jean-Luc Mastin, en 1918, tout le système de production du Nord est détruit par les occupants, malgré les tentatives de résistances, souvent vaines, des patrons. L'auteur montre parfaitement comment les familles d'industriels ont essayé durant ces 48 mois de présence ennemie de sauvegarder leur outil de production en menant une politique de ménagement vis-à-vis de l'occupant, ce qui n'a pas, de façon générale, fonctionné sur le long terme puisqu'en octobre 1918, alors qu'ils sont en train de se replier, les Allemands n'hésitent pas à mener une politique de la terre brûlée en détruisant les usines et les voies de communications du Nord, pour ralentir l'avancée alliée certes, mais surtout pour entraver le relèvement d'une éventuelle concurrence industrielle dans les années d'après-guerre. 

 

L'état industriel du Nord à la libération en 1918

En 1918, le potentiel industriel du département, dans sa partie occupée tout du moins, est réduit à néant. Il faut souvent attendre la fin de la décennie suivante pour que la production minière, métallurgique ou textile retrouve son niveau de production de 1913. Avec la crise économique du début des années 1930, puis la Seconde Guerre mondiale, c'est souvent dans les années 1950 que le potentiel économique des anciens départements occupés en 14-18 retrouve sa production d'avant-guerre. En effet, en plus des destructions, il faut ajouter la lenteur des relocalisations des entreprises qui avaient pu, souvent avec leur patron, évacuer une partie de leur outil de production avant l'arrivée de l'ennemi en 1914. Dans tous les cas, pour les patrons restés sur place ou pour ceux qui s'étaient repliés vers l'arrière durant tout le conflit, le retour est difficile. Il faut remettre en état les usines, avec l'aide des autorités.

Victimes et profiteurs : les patrons du Nord ont-ils, finalement, tiré profit de la guerre ?

Dès 1919 se mettent en place des commissions d'indemnisations visant à évaluer le montant des préjudices subis par les usines, mais aussi les agriculteurs et autres marchands dans les territoires occupés entre 1914 et 1918. Sous l'égide du nouveau ministère des régions libérées, ces commissions ont pour but la remise en état rapide de l'économie dans les anciens départements occupés. Des enquêtes sont donc menées par des agents de l'État, enquêtes où les patrons du Nord développent, comme le montre Jean-Luc Mastin, un discours victimaire afin d'augmenter les montants alloués par l'État dans le cadre des « réparations », montants qui sont en fait payés par les Allemands, selon les clauses du traité de Versailles. Si l'évaluation de la destruction des machines et des bâtiments peut facilement être établie, les difficultés apparaissent quand il s'agit d'évaluer les indemnisations sur les préjudices de guerre, notamment en ce qui concerne le manque à gagner. Avec tous ces calculs savants mis en place, parfois difficiles à justifier, les patrons du Nord se voient, à l'image de leurs collègues des anciens départements occupés, affublés d'une image de profiteurs de guerre, voulant accaparer les indemnités de guerre.