Au croisement de la chronique juridique et de l'action politique, Frédéric Lavignette revient sur la tentative d’assassinat de Léon Daudet, de l'Action française, par l'anarchiste Germaine Berton.

Frédéric Lavignette retrace une histoire au croisement de la chronique juridique et de l’action politique : l’affaire Germaine Berton. La jeune anarchiste en 1923 a tenté d’assassiner le chef de l’Action française, Léon Daudet. Elle a finalement abattu le responsable de son service d’ordre, les Camelots du roi, Marius Plateau. L’auteur a rédigé un ouvrage original dans sa forme et dans sa composition en retraçant au jour le jour les différentes phases de l’affaire comme il l’avait fait pour ses deux précédents livres consacrés respectivement aux « bandits tragiques » de la bande à Bonnot et à l'Affaire Liabeuf, « le tueur de flic ». Avec ce livre, il propose un récit chronologique commençant quelques temps avant le meurtre jusqu’à l’issue du procès, agrémenté de nombre d’extraits de presses, de photographies et de rapports divers. Il restitue de belle manière l’atmosphère de cette année 1923. Ce fort et riche ensemble documentaire est mis en perspective par une préface et une conclusion donnant à réfléchir sur l’affaire et ses implications.

 

Autopsie d’un meurtre

22 janvier 1923, trois coups de feu retentissent dans les locaux de l'Action française, le chef de son organisation paramilitaire Marius Plateau s’écroule. Germaine Berton revendique alors l’acte avant de tenter de mettre fin à ses jours. Ses déclarations et les perquisitions montrent vite son appartenance au mouvement libertaire. L'action a été réalisée pour venger Jaurès et des chansonniers qui subissent régulièrement les violences des Camelots du roi (molestation et perturbations diverses). Germaine Berton a déjà quelques années de militantisme révolutionnaire derrière elle. Passée brièvement par les syndicalistes révolutionnaires du Comité de défense sociale puis par le Parti communiste, elle a rejoint le groupe anarchiste de Tours où elle s'est faite remarquer pour ses appels antimilitaristes comme celui publié en 1921 : « A bas la France militariste », reproduit dans l'ouvrage. Quelque peu caractérielle, elle est éconduite des groupes libertaires tourangeaux pour réapparaître à Paris, la mouvance libertaire tolérant les personnalités quelque peu fantasque. Elle participe à différentes manifestations parisiennes où elle aime faire le coup de poing tout en faisant l'expérience des violences policières. Quelques temps après elle récupère une arme pour parvenir à ses fins.

 

Le symbole de la dichotomie monarchistes/anarchistes

En réponse à l’assassinat de Plateau, les nervis de l’Action française saccagent les locaux de plusieurs journaux. Ils appellent à l'action contre la République et ses alliés. L'auteur souligne le climat de tensions qui suit l'assassinat de Marius Plateau. L'Action française veut faire de l'enterrement une démonstration de force et y parvient partiellement rassemblant près de 5 000 personnes. Les conflits directs ou indirects se multiplient entre anarchistes et monarchistes sur fond de lutte d'influence. Les anarchistes répondant aux attaques des monarchistes par des apologies de l'action directe. La justice utilise alors l'arsenal juridique anti-anarchiste, hérité des lois scélérates de 1893 -1894, pour faire emprisonner certains d'entre eux. Par presse interposée, l'affrontement est constant, Le Libertaire répond ainsi aux attaques de l'Action française. Le traitement de l'affaire n'avance pas, l’extrême droite invente un complot imaginaire, thème récurrent dans cette famille politique, puis voit une collusion entre le pouvoir et leur bras armée les anarchistes. Provocation et violence s'enchaînent ; un libertaire fait à nouveau irruption dans les locaux de l'Action française et tire dans le plafond, des camelots agressent les hommes politiques. Ce premier acte s'achève sur un renvoi en cour d'Assise de Germaine Berton.

L’acte 2 prend un tour surprenant, quand le 24 novembre 1923, Philippe Daudet le fils de Léon, le héros et l’un des théoriciens de l’action française est retrouvé mort suicidé à l’arrière d’un taxi. Ce qui aurait pu être un drame familial prend une tournure politique, les anarchistes rappellent l’appartenance du fils au courant libertaire et accusent par la même les monarchistes, l’Action française hurle à la supercherie. L’auteur en profite pour restituer toutes les supputations de la presse, qui à grand renfort de communiqués de la Préfecture de police, remplissent de nombreuses pages pour arriver à trouver une hypothèse plausible à la mort de Philippe Daudet. Les journaux font par exemple état des différentes perquisitions réalisées par les forces de l’ordre dans les locaux anarchistes et chez les militants. L’accusation d’une collusion reprend de plus belle avec l’interrogatoire de Pierre Le Flaoutter, un libraire libertaire, qui a reçu le fils Daudet juste avant sa mort. Considéré comme un indicateur, l’accusation d’une provocation policière se développe chez les anarchistes. L’enquête fait pschitt. Le Flaoutter ne dit rien et les rebondissements espérés s’effondrent alors que le procès commence.

 

Le temps judiciaire

Le procès constitue l’acte 3 de cette affaire. Il s’ouvre le 19 décembre 1923 devant la cour d’Assise de la Seine. On passe alors de la chronique policière à la chronique judiciaire. Les rôles sont transformés car il s’agit de juger. Les ténors du barreau sont mobilisés : Marie de Roux pour les monarchistes et Henri Torrès pour la défense. Germaine Berton raconte les faits sans rien renier, mais sans donner d’éléments sur ses compagnons. Elle endosse la responsabilité du meurtre et revendique le fait d’avoir voulu abattre Daudet et Maurras. Son crime est politique et elle déclare à plusieurs reprises avoir venger Jaurès. Comme pendant l’enquête, les débats tournent à l’affrontement entre monarchistes et anarchistes. Avant que l’avocat de la défense ne les fasse rebondir autour de la légitimité de la violence. Par le jeu des témoins, il arrive à montrer que la violence vient finalement de l’Action française et des nationalistes. Par une plaidoirie habile, il réalise un parallèle avec l’acquittement quelques temps plutôt de Raoul Villain, le nationaliste assassin de Jaurès. Son argumentation et son éloquence permettent de justifier l’acte et d’emporter l’adhésion des jurés. Germain Berton est acquittée. Le Libertaire triomphe, les monarchistes maugréent dénonçant la collusion politico-judiciaire.

La pièce s’achève sur la reprise de la vie quotidienne. Un temps idole des milieux libertaires et des poètes surréalistes, Germaine Berton participe ensuite à différentes tournées de propagande et est à nouveau arrêtée pour des bagarres, avant de s’éloigner de progressivement des milieux militants après plusieurs tentatives de suicides. Il est difficile de croire totalement au hasard calendaire lorsque l'on apprendre que Germaine Berton réussit à mettre fin à ses jours quatre jours après l'annonce de la mort de Léon Daudet. Ce livre permet une mise au point complète sur cette affaire, en alliant l’efficacité de la présentation et la clarté du récit.